« Dans l’espace personne ne vous entendra crier », qu’ils disaient. C’est avec ce sous-titre habile que les producteurs ont rabattu des foules de spectateurs pour découvrir la huitième merveille du monde. Mais même en ce temps-là, il fallait plus qu’un slogan publicitaire pour convaincre la public du bien fondés de l’entreprise. Avant de devenir ce chef d’œuvre du 7ème art autopsié par plusieurs générations d’intellectuels à la petite semelle, Alien fût froidement accueilli lors de sa sortie en 1979 par le New York times, The Guardian, ou encore Variety qui n’en ventait que les qualités esthétique et l’efficacité de ses effets horrifiques. Mais l’on sait également la critique versatile, en atteste le succès surprise de Dirty Dancing, la réhabilitation de grands films tel que Blade Runner ou Massacre à la Tronçonneuse. Comme tout chef d’œuvre qui se respecte, Alien le Huitième Passager est née d’une gestation pour le moins douloureuse, alors que son scénariste Dan O’Bannon sortait complètement ruinés de l’adaptation inachevé du roman Dune de Franck Herbert sur lequel planchait le réalisateur Alejandro Jodorowsky. L’écrivain ressortira alors du placard un scénario qu’il avait déjà fait porter sur grand écran par son ami John Carpenter, un projet d’étude de fin d’année transformé en long et d’avantage porté sur la comédie (Dark Star). Roger Corman s’intéresse alors au script mais se fera griller la priorité par la Fox motivé par les retombées financières de La Guerre des Etoiles. Après plusieurs révisions, les deux parties arrivent finalement à un compromis et le projet sera alors confié au soin du réalisateur anglais Ridley Scott qui sortait de son premier film à succès Les Duellistes. La direction ne se fera pas sans heurts, mais le cinéaste parviendra à mettre tout le monde d’accord grâce à son approche de la mise en scène. Le reste appartient à l’histoire du 7ème art.


A quoi tient donc cette ascension fulgurante ? D’abord il y a la crédibilité de son univers et ce vaisseau usé par les voyages intersidéraux. Tout y est avant tout d’ordre fonctionnel, loin de la représentation kitsch et rutilante des vieux films de science-fiction ou des intérieurs monochromes et aseptisés de l’étoile noire de La Guerre des Etoiles. Puis il y a ce travail d’atmosphère à la fois mystique et mortifère des couloirs du Nostromo à l’exploration de ce vaisseau aux artères cyclopéenne sur la planète LV-426. Il y a aussi ces excès gore et sanguinolent qui ont largement choqués le public. Le réalisateur n’a pourtant fait qu’appliquer une règle d’or fondamentale dans le film d’épouvante horreur, en ne montrant que par à coup l’origine de sa menace qui se fond dans l’obscurité du décor et jaillit sans crier gare, ménageant son suspens et sa tension qui monteront crescendo à mesure que la créature gagnera du terrain et fera de ses victimes des martyrs au nom de son évolution. Mais au-delà de la dimension psychanalytique que revêt ce croquemitaine aux dents et aux griffes acérés (le monstre tapit dans le noir, au plafond, dans les conduites d’aération et dans les moindres recoins sombre du vaisseau), c’est surtout sa caractérisation qui ne saurait souffrir de la moindre ambiguïté quant à sa principale fonction reproductive et son statut d’alpha dominant qui n’attend que de posséder la belle au bois dormant (Ripley) dans un dénouement sensuellement chargé. Son crâne phallique, sa bouche carnassière rétractable comme un organe sortant de son fourreau, son fluide séminal visqueux au pouvoir extrêmement corrosif, et sa longue queue à l’extrémité incisive en font le parfait prédateur.


Mais il n’est pas seulement question d’un mastodonte à la peau d’ébène cherchant à pénétrer l’intimité des membres de l’équipage, pour leur perforer l’abdomen ou s’en servir de cocon maternel. Tout dans Alien se rapporte à la reproduction, au corps et à la gestation : les coursives du Nostromo en forme de trompes de Fallopes symbolisant l'utérus de l’ordinateur de bord judicieusement dénommé « Mother », cette saloperie de facehugger pondant ses œufs dans le corps de son hôte, ou bien cet androïde qui ne pompe pas du sang comme le nôtre mais une sorte de liquide laiteux qui s’échappe de ses orifices. Mais on pourra aussi apprécier le film pour ce qu’il est réellement, soit un thriller éprouvant sous forme de huit-clos, où un xénomorphe belliqueux se niche dans les zones d’ombre d’un vaisseau en perdition, éliminant un par un les survivants pourtant en terrain conquis. En l’absence de Dieu dans l’équation, le cinéaste s’en rapporte à l’illusion d’une technologie qui n’est pas sans faille comme ce détecteur de mouvement digne d’un compteur Geiger dont la résonance du signal sonore s’affole dans les conduits sombres et étroits d’une climatisation servant d’air de jeu à la créature. Ou bien l’ordinateur de bord, cette mère castratrice qui empêchera quiconque de mettre en branle le système d'autodestruction, aidé par un androïde soumis aux ordres de mission. Le casting (pour la plupart inconnu si on excepte la présence de John Hurt) ne servira que de cobayes d’expérimentation à un réalisateur misanthrope qui compte bien prendre parti pour ce monstre conceptualisé par H.G. Giger primitif certes, bien que supérieur dans sa capacité d’adaptation et sa résilience au combat. Tout faire exploser, c’est bien la solution des américains, sauf qu’en définitive, la créature n’est pas aussi naïve qu’on pourrait le penser. Il lui faudra donc procéder à un avortement en expulsant l'intrus à l'extérieur du vaisseau. Mais cela peut-il seulement suffire à l’éradiquer ? Rien n’est moins sûr avec cette bête là… L'outrage accomplit, rien ne sera jamais plus comme avant. Le cauchemar de la maternité est en marche et le 7ème art d’enfanter plusieurs lignées de monstres féroces et sanguinaires mais aussi d’abomination génétique déficiente dans l’univers si vaste de la série B.


T’aimes l’odeur du blaster fumé au petit déjeuner ? Tu rêves de pouvoir voyager à travers d’autres dimensions afin de quitter ce monde de cons ? Rends-toi sur L’Écran Barge où tu trouveras toute une liste de critiques dédiées à l’univers de la science-fiction, garanties sans couenne de porc.

Le-Roy-du-Bis
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le 12 août 2024

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