Alien: Romulus
6.6
Alien: Romulus

Film de Fede Alvarez (2024)

Les vieilles sagas du cinéma de genre ont la peau dure. La peau uniquement. L'intérieur est rarement reluisant. Avec les années, plus les différents traitements mis à sa disposition pour rester "en bon état" : une licence, de part ses acteurs / décideurs, est capable de tout. L'éternel choc du meilleur contre le pire. Cela n'exclut pas les possibilités de petits miracles. Après tout, "Saw X" avait l'année précédente, démontré contre toute attente qu'une saga accusant 20 ans d'âge pouvait encore proposer du solide. Et c'est en cet étrange été 2024 que nous parvient ce que beaucoup nous annonçaient comme le sauveur de la mémoire de ses semblables d'antan : "Alien - Romulus".

L'inénarrable Ridley Scott répond présent à la production, de même que le vieux briscard de la série B sous testostérone Walter Hill. Si je préfèrerai toujours le second au premier : leur implication dans le projet n'est pas non plus source de confiance. Ils étaient déjà là lorsque vinrent les nullités aberrantes que furent "Prometheus" et "Alien - Covenant". Oui mais ... Lorsque cette sinistre burne de Neill Blomkamp fut dégagée, son "Alien 5" définitivement enterré (ouf) et l'arrivée de Fede Alvarez confirmée au script et à la réalisation : je dois dire que la curiosité succéda au désintérêt.

Alvarez n'est pas un avant-gardiste. Il n'a pas la prétention de renouveler un genre fondamentalement rincé depuis au moins trois décennies. En revanche, c'est un bon metteur en scène, doublé d'un apprenti boucher habile avec toutes les barbaques. À défaut d'être des pierres angulaires, ses films consistaient autant en des coups de poings bien placés dans les codes en vigueur qu'en des pépites où l'hémoglobine coulait à torrent ... et dérangeait (le vrai gore n'est pas source de rigolades, l'affligeant Eli Roth n'est pas David Cronenberg). J'admets d'ailleurs avoir un faible pour sa relecture de "Texas Chainsaw Massacre" de 2022 (l'uruguayen n'était que scénariste) qui n'épargnait personne et où un Leatherface terrifiant pourfendait, outre une génération citadine / néo rurale humainement dégueulasse, la tendance du moment initiée par l'immonde David Gordon Green de remaker des classiques de l'épouvante à la sauce Konbini / EHPAD cinq étoiles de Beverly Hills. La perspective de voir un "Alien" pensé et mis en scène par ce drôle de zèbre promettait beaucoup. Au point de faire oublier que tout, absolument tout a été dit concernant l'horreur spatiale selon Dan O'Bannon et H.R Giger. Pire, que la Fox a été annexée par Disney. Un défi de taille, dont le résultat s'avère mitigé.

D'ailleurs, dès le départ, on sent une volonté (fugace) de s'éloigner des schémas calibrés qui colle à la peau du xénomorphe depuis 1979. En particulier sur l'ambiance. Et le joueur porté sur les bons scénarios et l'immersion à l'ancienne de vite déduire l'influence première d'Alvarez sur cet opus. Si je vous dis : "Foutez le camp Isaac ! Il vient vers vous !", vous saisissez ? Non ? Alors si je vous fredonne : "Twinkle twinkle little star ..." ? Toujours pas ? Alors voyez donc : Réception d'un artefact extraterrestre étudié sous toutes les coutures par une congrégation du type Sanofi rencontre l'Ordre du Temple Solaire. Planète minière où les systèmes d'extraction les plus sophistiqués côtoient les méthodes les plus archaïques (le bon vieux canari dans sa cage). Vaisseau mystérieux en orbite autour de la planète pré citée. Puis, plus tard dans le film : combats en gravité zéro. Manigances de dégénérés qui souhaitent intervenir sur l'évolution du genre humain ... Autant d'éléments qui en 2008 avaient garanti le succès légitime de ce chef-d'œuvre du jeu d'aventure viscérale qu'est "Dead Space" premier du nom. Certes, le survival horror d'Electronic Arts devait beaucoup à "Alien", mais savait s'en distinguer par une approche résolument plus radicale et éprouvante (ce jeu fait peur et vous hante encore pas mal de temps après votre partie). Tout ce que l'on attendait d'un Alvarez en somme. Et c'est là que le bas blesse.

Si on devait présenter "Alien - Romulus" comme un cas d'école, ce serait pour une seule et unique raison : la schizophrénie qui le sous-tend de A à Z. Rarement vu un film autant tiraillé de manière aussi obsessionnelle et organique entre la vision d'un cinéaste et celle du studio. On attendra que s'estompe l'hystérie suscitée par la récente sortie appuyée par le flot d'interviews promotionnelles rasoirs, pour enfin savoir si Alvarez a agi en accord avec Disney ou bien a été dépossédé de sa conception du mythe "Alien".

Parce que, franchement : où est passé le gore ? La classification "-12 ans" en nos contrées a suffit à me rendre méfiant. Comment celui qui avait su rendre effroyable et sordide une gaudriole quasi nanardesque comme "Evil Dead" se révèle bien moins sanguinaire que Dan O'Bannon et James Cameron ? L'intervention des requins et autres sous-fifres à la solde de Disney bien sûr. Ceux-là même qui, après recours aux services de la fée clochette, transforment la traversée d'un couloir enduit de sécrétions où sont englués les victimes fécondées : en train fantôme grotesque. Les mêmes sans doute également responsables de ce fan service vulgaire, version la plus régressive de l'auto hommage avec cette réutilisation artificielle et sonnant toujours faux de répliques cultes qui filerai des cauchemars à Orson Welles. En parlant d'artificiel, la palme revient à Andy, l'androïde, dont l'interprète n'a pas son pareil pour matérialiser à l'écran cette dualité opposant patte personnelle (attitude ambiguë, distante, apathique, détraquée) et cahier des charges imposé (attitude de simple d'esprit au potentiel héroïque typiquement marvelien). Dans un autre registre où la frontière entre mercantilisme et nécrophilie est inexistante : le "retour" de feu Ian Holm en androïde modèle "Ash 120 A2" version numérique plus que discutable. Il serait bon de demander à Lance "Bishop" Henriksen son avis sur ces méthodes.

Reste une introduction prenante évoquée plus haut, un casting acceptable, des vilaines bêtes qui font toujours leur petit effet à chacune de leurs apparitions, une impression non frelatée de claque visuelle où le Federico sublime les environnements des volets antérieurs, ainsi qu'une poignée de scènes audacieuses (la gente féminine et les djeuns dégustent, bien que l'on aurait apprécié des séquences plus Alvarez dans l'âme, dignes des boucheries hardcorissimes de "Evil Dead 2013" et "Texas Chainsaw Massacre 2022") et quelques clin d'oeil subtils au très dispensable "Resurrection" dont les rares bonnes idées sont au passage transcendées, notamment via cette séquence d'évasion sur une de ces sempiternelles échelles infinies. Mais c'est sur la conclusion que l'on assiste à la quintessence de ce produit mi libre mi bâtard formaté. Où comment aboutir à un duel final sans étincelle qui repompe mollement ceux, tellement plus mémorables, des deux premiers opus, alors que le métrage nous confronte à l'une des plus abjectes visions d'horreur qu'il m'ait été donné de voir au cinéma. Car si "Alien" est une saga dont les composants les plus nobles puisent leur force évocatrice chez Lovecraft et que le xénomorphe partage bien des points communs avec un certain Nyarlathotep : l'hybride de "Romulus" (là encore, l'ami Fede s'empare pour le meilleur de "Resurrection") semble sortir tout droit de la ferme Whateley dans "L'Abomination De Dunwich". Les ingénieurs et autres néomorphes de Scott relèvent du bis le plus inoffensif en comparaison.

En l'attente d'une éventuelle director's cut : on ne peut qu'être frustré suite au visionnage de ce septième volet. À bien des égards, "Romulus" n'a rien à envier au "Predators" de 2010 ni au pseudo préquel de "The Thing" sorti en 2011. Même recyclages poussifs, même pressions d'exécutifs adeptes du buzz et du tape à l'oeil. Sauf que ces deux projets reposaient sur les épaules frêles et le ciboulot malléable de tâcherons serviles et sans vision. Ici, la semi génuflexion d'un sale gosse face à l'équivalent entertainment de la Weyland-Yutani est difficile à accepter. L'objet filmique n'est au bout du compte pas mauvais. Mais Dieu, qu'il aurait pu être bien mieux. Que voulez-vous. C'est "l'esprit du temps". Reflet d'une ère absurde, aliénante, immorale et peuplée de clones à la botte de télépathes despotiques. Celui là même que dénonçait HAWKWIND dans son "Spirit Of The Age" d'anthologie ... deux avant la sortie du premier "Alien".

MetalliCHAOS
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le 16 août 2024

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