Alors que ni Fincher (débutant, il est vrai), ni, a fortiori Jeunet (lui, vraiment « étranger » au concept) n’avaient réussi à retrouver la magie des deux premiers volets de la saga du xénomorphe invincible, alors que Ridley Scott lui-même avait profondément endommagé son mythe à coup d’idées malaisantes et de films peu convaincants (Prometheus, moyen, Covenant, raté), il y avait peu à espérer de ce septième volet. Pourtant, le fait que Ridley Scott en lâche les commandes, et que ce soit Fede Álvarez – un réalisateur très compétent de films de terreur (souvenez-vous de son oppressant Don’t Breathe !), aurait dû nous intriguer…
En fait, le contrat passé avec Álvarez est clair à la vision de Alien : Romulus : 1) revenir aux fondamentaux du concept, et 2) faire le plus peur possible. Et sur ces deux points, Álvarez livre des résultats satisfaisants, au delà, en fait, de nos attentes. Bien sûr, certains se plaignent que les références (et même certains clins d’œil) au reste de la saga soient trop nombreuses, mais elles correspondent clairement au souci de cohérence d’un réalisateur-scénariste anxieux de justifier son audace à venir jouer sur le terrain du chef d’œuvre de 1979 et de sa suite épique, signée James Cameron (puisque Romulus vient se placer chronologiquement entre ces deux récits). Là où il aurait pu éviter des références, c’est vis à vis de Prometheus et Covenant, d’autant que cela « donne naissance » (littéralement) à la seule partie laide du film, la dernière, dont on se serait bien passés.
Si le postulat de départ de cette nouvelle histoire (l’exploration d’une épave par de jeunes adultes cherchant à y trouver les moyens de quitter la planète industrielle où ils travaillent comme de quasi esclaves) est assez fragile, le script d’Álvarez et de Rodo Sayagues a l’intelligence d’en tirer le maximum pour caractériser des personnages intéressants, auxquels il confère une véritable épaisseur… ce qui est beaucoup plus efficace pour le spectateur quand ces personnages affrontent les dangers mortels que l’on connaît bien. Car, puisqu’il n’est pas question de nous surprendre en sortant des règles du jeu initiales, autant utiliser toutes les bonnes techniques du « bon » film de terreur : des personnages intelligents qu’on a envie de voir se tirer de cette galère (spatiale), de bons interprètes bien dirigés pour les caractériser (avec en premier lieu la charismatique Cailee Spaeny, parfaite dans Priscilla et très convaincante dans Civil War), une atmosphère continuellement oppressante dans un environnement original (ici, bien « sale », donc dans l’esprit du premier film), pas de jump scares, pas trop de détails graphiques sur les monstres, toujours plus effrayants quand ils ne sont guère visibles (l’exception étant donc la fin, la partie la moins réussie du film), et, cerise sur le gâteau, l’utilisation d’animatroniques et de costumes pour les créatures, avec un minimum de CGI !
Si l’on se sent bien sur ce rollercoaster de la terreur piloté par Fede Álvarez, tout au long de deux heures de tension et de terreur qui devraient embarquer une nouvelle génération n’ayant pas été biberonnée, elle, aux films de Scott et Cameron, il y a à notre avis une petite cerise sur le gâteau de l’épouvante : on se souvient qu’Alien pointait originellement du doigt le manque absolu d’humanité des multi-corporations capitalistes, faisant passer leur profit devant les facteurs humains. Il est rassurant de voir le script de Romulus enfoncer le clou – puisque, près d’un demi-siècle plus tard, les choses ont bien empiré sur ce point, « in real life ». Toute la remarquable introduction sur la planète, où travaille une sous-humanité privée de soleil et du moindre espoir d’amélioration, est digne d’un bon film de SF, alors que, plus tard, le retour sur les « directives » de Ash (même si on se serait passé de la recréation digitale du visage de Ian Holm !) et leur transmission au robot « handicapé » qu’est Andy permettent à Álvarez d’ajouter un contexte politique pertinent à son (potentiel) blockbuster.
Si l’on se souvient que la Production avait à l’origine prévu une diffusion du film uniquement sur plateforme de streaming, on est heureux de voir qu’un certain respect de l’œuvre, de ses auteurs et de ses spectateurs a prévalu : un film aussi impactant, traduisant un tel enthousiasme de la part d’Álvarez et de Sayagues vis à vis de l’univers qu’on leur a confié, mérite de rencontrer le succès populaire en salles.
[Critique écrite en 2024]
https://www.senscritique.com/film/alien_romulus/critique/creation/46778273