SPOILERS


A quoi reconnaît-on un vrai grand film ? A son succès critique ? Trop facile. A son succès public ? Trop commode. Au fait qu'il nous a marqué ? Trop subjectif mais la réponse est à chercher par là : il s'agit peut-être de ceux découverts étant enfants et qui, au fil des ans, nous procurent toujours les mêmes sensations sans que la nostalgie ne s'en mêle. En ce qui me concerne, j'ai beau lutter, remettre la chose en question, écouter les plus farouches détracteurs de Cameron cracher dessus (et vanter les mérites d'un premier volet, il est vrai, exceptionnel), rien à faire : Aliens: le retour continue de me clouer au sol comme aucun autre film d'action.


"Film d'action", en voilà d'ailleurs un beau moyen de se défausser : le film de Ridley Scott était atmosphérique par essence, celui-ci a décidé de faire parler la poudre, donc on peut le reléguer au fond d'un placard. Ne pouvant pas s'empêcher de déplacer une chaîne de montagnes à chaque nouveau projet, James Cameron assume ses partis-pris de la première à la dernière image, exacerbant les sentiments dans un déluge de visions dantesques. Vantards et blagueurs, les soldats qui accompagnent Ripley se payent pendant leur exposition un joli nombre de clichés : blagues limites beaufs, armes phalliques démesurées, frime complète...


De parfaits petits soldats prêts à en découdre mais dont la moitié se fait pourtant laminer dès le premier contact avec les bestioles. Entre les deux, une phase d'exploration qui accumule les idées discrètes mais géniales (le silence rythmé par les "battements de coeur" du détecteur de mouvements, les caméras intégrées aux casques des soldats, le sursaut provoqué par la découverte d'un facehugger en bocal...), et où l'absence complète de cynisme finit par rendre les personnages attachants. Francs du collier, ils sont rendus impuissants, virils mais apeurés. A leur trouille s'ajoute celle de Ripley, seule à avoir déjà vécue un combat contre l'espèce adverse.


Plus encore que le film de Scott, ce second volet mérite d'aller au-delà des apparences : derrière son fétichisme guerrier, son rythme infernal et sa dimension spectaculaire, Aliens : le retour reste un exemple hallucinant d'actioner matriarcal. Foulant sans prévenir la thématique du deuil en la retournant de manière magistrale (ayant dérivé dans l'espace pendant près de six décennies, Ripley apprend au début du film que sa fille est morte à l'âge de 65 ans), le futur réalisateur de Titanic dessine une relation parent/enfant née grâce et à cause des monstres du titre, les personnages de Ripley et de Newt vampirisant ainsi toute la narration.


Féminine par essence, la sensibilité du long-métrage sert donc de moteur à sa puissance belliqueuse. Ce faisant, Cameron met peu-à-peu Sigourney Weaver sur un piédestal, l'isolant progressivement d'un groupe d'hommes dont elle devient le leader sans jamais mettre de côté sa féminité. Bien au contraire : ce qui fait courir le metteur en scène, c'est une dernière heure en forme de crescendo dont chaque plan est une symphonie guerrière, juxtaposition terrassante d'émotion brute et de poudre à canon, d'instinct de survie et d'amour maternel.


A vrai dire, Aliens est une oeuvre furieuse car intrinsèquement effrayée. A chaque sermon viril répondent les souvenirs traumatiques du Nostromo. A chaque pas courageux vers le danger se développe une tension en crescendo. Ingénieur de formation et fou de direction artistique, James Cameron investit à l'écran chaque dollar pour donner du poids, de la présence à des décors majoritairement vides. Composé en deux semaines, le score de James Horner vogue quant à lui de la fureur martiale à la colère homérique, assumant son premier degré avec un hargne sans nom. Le point de vue étant une donnée essentielle dans un récit à huis clos, Cameron condense toute cette énergie vers deux protagonistes, duo improbable et terriblement attachant.


Voué corps et âme à ses deux héroïnes, Aliens : le retour fait de la relation entre Ripley et la petite Newt un pilier essentiel du récit. Le sauvetage de la fillette compte ainsi parmi ces séquences qui font battre le coeur à tout rompre vision après vision, la confrontation de cette famille recomposée avec celle de la reine alien atteignant les rives de l'affrontement mythologique, suite de regards chargés de haine au sein d'une terrifiante arène organique. Parce qu'elle ne rentre jamais en conflit avec le rythme interne du scénario, l'émotion qui se dégage du film prend réellement aux tripes jusqu'à un duel final toujours aussi stupéfiant. Et le dernier plan (un visage endormi au coeur de l'immensité spatiale) de m'achever comme aucun autre film d'action ne l'a jamais fait depuis.


Tant pis pour ceux que ça fait rire car plus de dix ans après sa découverte, je continue de l'aimer sans réserves cette suite démesurée, exaltante, furieuse et magnifique. Du pur Cameron, le coeur sur la main et le couteau entre les dents, débordant d'images inoubliables dont l'agencement résume tout ; l'enlèvement de la petite Newt dans un égout, avec la créature surgissant des eaux à l'arrière-plan, n'a rien perdu de sa puissance évocatrice.


Au final, s'il y a une chose que Aliens m'a apprise et continue de m'enseigner à l'heure où il suffit de démolir une ville pour faire du "grand spectacle", c'est le sens d'un mot : grandiose.

Fritz_the_Cat
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le 3 mai 2013

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Fritz_the_Cat

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