Certains films se laissent enfermer dans des cases commodes, classés sous l’étiquette de ce "cinéma du monde" où l’exotisme documentaire se superpose à l’intime. Mais All We Imagine as Light, premier long métrage de Payal Kapadia, refuse de s’y laisser contenir.
À Bombay, ville-monde en perpétuelle mutation, trois femmes se croisent et évoluent conjointement. Prabha, infirmière dont le mari s’est volatilisé en Allemagne, Anu, qui se consume dans l’attente d’un amour clandestin, et Parvaty, menacée d’être chassée du foyer où elle cuisine. Ensemble, elles nouent une sororité fragile, une alliance née de l’absence, de l’inaccompli. Kapadia capte leurs trajectoires, filmant moins les actions que les silences, les gestes différés, les ombres portées sur les murs suintants d’un appartement exigu.
Mais All We Imagine as Light ne se contente pas d’être un film sur la claustration. Peu à peu, l’espace s’étire, la ville cède à la mer, le béton au minéral. De Bombay à la côte de Ratnagiri, le film respire, le temps s’étire. Le cyan électrique des néons s’efface, remplacé par une lumière plus douce, une promesse d’ailleurs. C’est ici que le film glisse imperceptiblement vers une forme de réalisme magique : un moment où l’existence vacille entre le tangible et l’imaginaire, où la mer devient refuge, renaissance, passage.
La mise en scène de Kapadia, délicate et pudique, préfère le hors-champ aux démonstrations, la distance aux gros plans. Elle laisse ses héroïnes se fondre dans les ruelles vibrantes de Bombay. Les mots eux-mêmes semblent fugitifs : parfois, ils ne s’échangent que sous forme de messages, s’affichant à l’écran, échos d’une parole qui peine à se dire.
Il y a dans All We Imagine as Light une grâce d’outre-monde, une lenteur habitée qui refuse l’emphase et préfère le ressac des émotions contenues. C’est un film d’attente et d’absence, où le réel se dilate jusqu’à frôler l’onirisme. Une œuvre où l’espoir se niche dans les interstices.