Ce premier long-métrage de fiction de la réalisatrice indienne, Payal Kapadia, nous introduit dans la vie de trois personnages féminins, travaillant dans un hôpital à Bombay, deux (qui sont aussi colocataires !) en tant qu'infirmières, une en tant que cuisinière. L'un des deux infirmières, Prabha, ayant fait un mariage arrangé, n'a plus de nouvelles, depuis plusieurs années, de son époux, parti travailler en Allemagne. L'autre, Anu, la plus jeune, essaye, tant bien que mal, de cacher qu'elle a un petit ami musulman. Celle qui travaille comme cuisinière, Parvaty, la plus âgée du trio, doit être bientôt expulsée de son logement, mais, malgré ses tentatives et l'aide dévouée que Prabha lui apporte dans ses démarches, elle ne parvient pas à prouver son droit à être relogée, vu que son défunt mari ne lui a laissé aucun document administratif...
Par l'intermédiaire d'un synopsis comme celui-là, il ne faut pas longtemps pour saisir qu'avec All We Imagine As Light (ayant remporté le Grand prix mérité à Cannes !), on a affaire à un portrait peu reluisant de la société du pays, engoncée qu'elle est dans le patriarcat et les inégalités sociales (le système des castes n'est jamais bien loin, comme le souligne une séquence avec un panneau publicitaire !). Bien que conscients de tout ceci, les trois protagonistes, fatalistes, semblent se résigner à l'idée de continuer à être écrasés par ce système injuste et archaïque. Mais, sans trop en dire, une petite touche d'espoir n'est pas interdite...
Le film est constitué de deux parties bien distinctes, la première se déroule donc à Bombay, la seconde dans un endroit plus reculé, au bord de la mer. Cette seconde partie, loin de la frénésie d'un cadre urbain, est l'occasion pour Prabha et Anu de prendre enfin du recul par rapport à leur situation, de réfléchir sur elles-mêmes.
Alors, je préviens, le style est volontiers vaporeux et alangui, sans la moindre emphase. Ceci non seulement par l'intermédiaire d'un rythme global lent, d'un récit qui n'explicite pas tout, mais aussi par quelques bonnes idées de mise en scène, comme le fait que l'on peut entendre les dialogues des personnages alors que la caméra filme ailleurs (surtout les rues frémissantes de Bombay !), voire voir apparaître à l'écran des SMS échangés entre Anu et son petit ami, sans que l'un ou l'autre soit forcément dans le champ.
Tout cela peut en rebuter plus d'un. Néanmoins, si on consent à adhérer à cette narration, c'est prenant. On ne s'ennuie pas une seconde. En outre, cette manière de raconter n'est pas du tout un cache-misère pour dissimuler un fond vide ainsi qu'une grosse paresse d'écriture. Au contraire, l'intrigue... ou plutôt les intrigues, qui s'entremêlent, sont claires et consistantes. Et les personnages ont une véritable construction psychologique, avec des motifs ainsi que des réactions tout à fait humainement crédibles et compréhensibles.
Pour ajouter à la qualité d'ensemble, le trio de comédiennes est excellent, avec une interprétation d'une grande justesse (décidément, avec Emilia Perez, Les Graines du figuier sauvage et cette œuvre-là, l'édition 2024 du festival de Cannes a vraiment mis en avant des groupes d'actrices très talentueuses !).
Bref, All We Imagine As Light constitue des quasi-débuts plus que prometteurs pour Payal Kapadia. C'est dorénavant une cinéaste à suivre absolument...