Perdu dans la grisaille de son quartier bétonné, Aloys Adorn est un détective privé étouffé par la solitude. Lorsque son père rejoint l'au-delà, il est pris au piège dans une routine monotone. Dans son appartement qui semble figé depuis les années 80, l'atmosphère est brumeuse, froide et mélancolique.
Aloys est spectateur de sa propre vie et de celles des autres dont il filme les plus mauvais penchants. Il garde chez lui une curieuse collection de centaine de cassettes vidéos. Qui est cet étrange collectionneur ? Un vidéaste amoureux de ses images ou un voyeur fétichiste ? D'ailleurs, qui sommes-nous pour le juger puisque nous même épions ses faits et gestes depuis le début du film.
Le téléphone sonne, une voix troublante impose un chantage et le film vire en thriller. Face à cette agression, Aloys se protège et déploie un dispositif de confinement. Mais lorsqu'il découvre que son assiégeante n'était autre que sa voisine Vera, une âme encore plus écorchée que lui, il se révèle enfin. Altruiste et aimant, il va tenter de sauver cette femme à force de tendresse et de délicatesse.
Le film devient à présent une fable moderne, nous nous promenons dans les bois : un lieu magique et mystérieux. Les couleurs sont fraîches et apaisantes. La nature est vivante et vigoureuse : une bouffée d'oxygène. Tobias Nölle, le réalisateur, tente de nous faire rentrer tout entier dans l'esprit d'Aloys. Le film fait sans cesse des parallèles entre l'allégorique et la réalité. Un peu comme lorsque l'on tombe amoureux : on rêve éveillé.
Les promenades téléphoniques des deux protagonistes sont terriblement poétiques et romantiques. Leur rencontre est explosive, comme le feu d'artifice qu'Aloys fait éclater dans sa baignoire. La fête onirique est un moment d'apothéose : tous les personnages du film sont réunis pour une occasion décalée. Il y a énormément d'énergie dans la mise en scène qui nous fait partager la joie ambiante : lumières colorées, musique folle et beaucoup d'humour. Le spectateur est pris d'un tournis : tout cela est-il enfin réel ? Sommes-nous toujours dans la fantaisie ? Les deux drôles d'oiseaux ne se sont jamais rencontrés et ne se parle qu'au téléphone depuis le début. Le doute s'installe : La jeune femme existe-t-elle vraiment ? Peut-être qu'Aloys se fait des films ? "Tout ce qui nous touche se passe dans nos têtes" dit Vera, tristement. Pour cette histoire d'amour naissante, le contact humain devient nécessaire.
D'autant plus que la jeune femme est fragile et déjà brisée. Comme Aloys, c'est une collectionneuse atypique. Elle façonne chez elle une véritable forêt : des plantes et des animaux envahissent son appartement. Vera ira jusqu'à voler un mouton dans un zoo. Un vol qu'elle ne considère pas comme un délit mais une remise en liberté de l'animal. Voilà, ce qui la rends si fascinante aux yeux d'Aloys : Son rapport sincère et authentique à la nature. Dans ce film, il y a une opposition entre le naturel et l'artificiel : les plans magnifiques dans la forêt fendent les lignes verticales et horizontales de la cité. La ville est représentée par des formes étirées, un environnement froid et lugubre inspirant le malaise. L'utilisation du son sublime ce sentiment en nous assourdissant de bruits métalliques et de cliquetis qui nous dérangent, nous ramenant sans cesse aux choses matérielles.
Le film questionne les rapports entre les hommes par l'intermédiaire de nos outils technologiques. Quelle place laisse-t-on à la "nature" dans les relations humaines ? Ainsi plongés dans le film, nous
oublions parfois que les deux protagonistes ne se sont jamais approchés en chair et en os. L'illusion fonctionne à merveille. Nous avons assisté à une romance entre deux voix, séparés de leurs corps charnels. Tobias Nölle nous montre délicatement que la technologie a ses limites, mais que l'esprit humain est infini.
"Aloys" m'a déstabilisée : j'ai ris, j'ai été émue et surtout j'ai été surprise par le lyrisme de l'image. Le film est très réussi plastiquement et le langage est très métaphorique à la manière d'un poème. J'ai trouvé que l'histoire, bien que très sombre, se révèle également optimiste : Malgré la vie sinistre d'Aloys, celui-ci reprends goût à la vie avec une telle énergie que l'on sort de ce film charmé et plein d'espoir.
(Critique que j'ai écrite pour le concours du Festival Augenblick)