Le grain de folie caractéristique du cinéma de Miloš Forman peut suffire à réconcilier avec un genre, celui du biopic, qui ne figure pas en règle générale dans la catégorie des mouvements les plus novateurs. On est d'ailleurs très loin du mètre étalon des productions trop sages en la matière, toutes périodes confondues. Amadeus constitue ainsi un très bon exemple de ce qu'il est possible de faire, totalement adapté au format et au thème, loin des pamphlets soporifiques qui résument souvent mal une page Wikipédia.
Il y a un petit tour de passe-passe amusant qui permet à Forman de prendre toutes les libertés qu'il veut : l'histoire est racontée du point de vue d'Antonio Salieri, éternel rival de Mozart, à la fin de ses jours, en s'appuyant sur une structure en flashbacks. Dès le début, ce procédé peut mettre la puce à l'oreille et donner quelques indices quant à la position biaisée ou partielle des faits qui sont relatés. L'écart à la vérité est légitimé.
Évidemment, ce n'est pas une biographie officielle et rigoureuse : difficile de prendre le film pour autre chose qu'un regard décalé sur l'artiste, et surtout un regard sur une condition, celle du génie, plus que sur une personne. C'est d'ailleurs l'objet de contrastes qui reviendront tout au long du film, opposant les deux figures de l'artiste. L'opposition entre les deux hommes est à ce titre constante : deux écoles, deux modes de vie. Le conformisme contre la transgression, l'acceptation des règles et la rébellion, le consensus du temps présent et l'énergie chaotique de la création novatrice : en plus simple, le classique contre l'original, l'ancien contre le nouveau, un conflit sans esbroufe et dénué de substance réactionnaire.
Forman ne se concentre toutefois pas uniquement sur ce débat d'idées, et le travail de reconstitution aura fait l'objet d'un soin tout particulier en termes de costumes et de décors : c'est impressionnant de se retrouver dans les salons viennois de l'aristocratie de l'époque. L'introduction du (très long) film pose les jalons esthétiques et thématiques du film, l'air de rien. La façon dont Salieri se trouve ridicule devant sa propre tentative de lutter contre une forme de génie est touchante, comme le point de chute de sa jalousie dévorante.
Au final, Amadeus expose avec toute la grandiloquence et le fatalisme que cela nécessite l'impuissance d'un personnage studieux et standard comme Salieri face à l'immense puissance créatrice de Mozart. Il y a dans ce constat autant de tragique que de comique, et le film joue sur cette ligne de crête en parfait équilibriste. Comme l'a dit Forman semble-t-il en entretien, le personnage principal serait plutôt Salieri car c'est lui qui permet de cristalliser une part d'indicible, c'est lui la passerelle entre le monde du commun des mortel et celui des prodiges comme Mozart. Une autre ligne de crête apparaît peu à peu : celle qui sépare la haine jalouse de l’admiration fascinée. Une grande partie du film est d'ailleurs basée sur sa découverte horrifiée du génie, vécu presque comme un scandale tant cela entre en conflit avec l'enseignement religieux de Salieri qui lui assurait une égalité devant dieu. Il se fait un peu le relais du spectateur, impuissant devant une telle manifestation de supériorité.
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