Amama
6.6
Amama

Film de Asier Altuna (2016)

Au Pays Basque espagnol, une famille de notre époque reste imprégnée par des pratiques à caractère traditionnel. Ainsi, à chaque naissance un jeune arbre est planté symboliquement. D’autre part, l’amama détermine le caractère du nouveau-né par un ou plusieurs qualificatifs et une couleur. Plus tard, cette couleur est marquée à la peinture sur le tronc de l’arbre associé à la personne. Symbolisation forcément outrancière et réductrice ? Pas plus que l’attribution ou l’usage de surnoms (dès l’adolescence, mais aussi dans bien des milieux) qui peuvent perdurer. Un exemple avec… SensCritique (avec une différence, fondamentale, puisque chaque membre s’attribue son propre pseudo). On pourrait ajouter que cette pratique correspond bien aux jeux de rôles toujours très prisés, héritage du goût pour le changement de « masque ». On sait également qu’il est très difficile de sortir du rôle dans lequel on est connu. Au cinéma et au théâtre on parle à juste de titre des rôles à contre-emploi (voulus par le réalisateur et/ou l’acteur).


Ici les caractères sont non pas décidés par l’amama, mais par quelque chose qu’on pourrait nommer le destin, car l’amama ne joue qu’un rôle de medium pour exprimer ce qu’elle a ressenti au plus profond de son être. Il n’est pas question ici de pratiques à caractère religieux ou plus ou moins magiques (pas de mise en scène grandiloquente), mais plutôt de communion avec l’élément naturel. Amaia (personnage central en tant que narratrice) l’évoque à un moment, 30 amamas auparavant (si mon souvenir est exact, son compte est largement sous-estimé, peu importe), c’était le néolithique. Bien évidemment, on peut douter que ses ancêtres se comportaient comme sa famille, le monde ayant beaucoup évolué. On peut néanmoins imaginer qu’Amaia est en quelque sorte l’héritière (future amama ?) de croyances venues du fond des âges. Ici, rien ne dit que les traditions décrites aillent au-delà du cercle familial, même si quelques proches semblent sinon les partager du moins les respecter (voir la cérémonie d’adieu à l’amama).


Alors, l’amama ? Eh bien c’est ici la grand-mère d’Amaia, soit la mère de Tomàs, son père. En sa qualité de patriarche (plus ancienne héritière du don de transmission de la vie en tant que femme, interprétation personnelle puisque le film montre bien plus qu’il n’explique), elle exerce un rôle (on y revient) de référente des comportements familiaux. Cette famille est centrée autour d’une ferme (très beaux paysages ruraux). Pour préserver sa capacité, la règle a longtemps été que la ferme soit héritée par l’ainé des enfants pour qu’elle ne soit jamais divisée (rien d’original), les autres enfants devant se débrouiller pour assurer leur subsistance. On peut remarquer que cette loi suit la logique de la pérennité du bien, non de tous les membres de la famille. On observe d’ailleurs que la famille a assoupli cette loi au fil des générations en désignant désormais comme héritier celui ou celle étant le plus apte à faire prospérer le bien familial. Question de bon sens, la vie rendant le travail à la ferme de moins en moins attractif. Ceci dit, le père d’Amaia est très fortement attaché (propriétaire actuel, depuis la mort de son père) à ce bien auquel il a donné et donne encore toute son énergie (le travail, notion fondamentale à ses yeux). Pour revenir à la loi familiale, en défavorisant les autres enfants elle les incite à chercher fortune ailleurs, alors que les liens familiaux restent très forts. Une contradiction qui s’exerce au détriment des enfants non propriétaires. On imagine que beaucoup par le passé en ont souffert. Les conditions de vie modernes ont donné à Gaizka (Manu Uranga) la possibilité de faire sa vie loin de ce milieu familial qui a exercé toute la force dont il est capable pour le retenir (belle scène symbolique). C’est lui qui devait reprendre la ferme et non son frère Xabi (Ander Lipus) le « paresseux, lent » ou sa sœur Amaia au caractère de rebelle qui vit avec son temps (ordinateur, peinture abstraite).


En centrant l’action sur la ferme, ceux qui y vivent, ceux qui en sont issus et ceux qui y viennent, le réalisateur/scénariste Asier Altuna réussit son pari d’un premier film foncièrement Basque, y compris dans sa BO. Au cinéma, les caractères bien marqués passent bien. Avec Amparo Badiola (Amama), Iraia Elias (Amaia) et Kandido Uranga (Tomàs, père d’Amaia) notamment, Asier Altuna a tout bon. Sans dialogues superflus, la confrontation de caractères forts fait monter la tension (l’évocation de forces primaires émergeant dès la séquence d’ouverture qui conservera longtemps son caractère énigmatique). Avec beaucoup de tendresse pour ses personnages et quelques touches d’humour, Altuna montre que si chacun(e) a son rôle, chacun(e) doit également trouver sa place, avec ses moyens. Et les plus effacés comme la mère d’Amaia (Klara Badolia), Xabi l’éternel sous-estimé voire Gaizka celui qui a trouvé le courage de s’éloigner géographiquement, tous ont leur place dans cette cellule familiale qui entretient des relations à la fois simples et complexes.

Electron
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le 12 juin 2016

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