Derrière lui, quatre mots écrits au tableau, des mots que l'on ne distingue pas encore. Puis, la question lancée à la volée aux étudiants qui lui font face :
" Bon, commençons. Qui veut se lancer ?"
Brittany, étudiante au teint pâle souligné par des cheveux teints en vert :
- "Je n'ai pas d'avis sur la nouvelle , mais le mot que vous avez écrit au tableau n'est pas correct"
L'enseignant , un afro-américain la quarantaine avenante répond en même temps que nous découvrons les mots inscrits : "The Artificial Nigger"
flannery O'Connor
-"je ne pense pas avoir fait de faute d'ortographe"
Brittany: -"Ce n'est pas drôle, nous ne devrions pas avoir ces mots sous les yeux toute la journée" (...)
Le professeur, Thelonious Ellison (surnommé Monk) : "On est tous adultes ici , je crois qu'on est capables de comprendre le contexte dans lequel la nouvelle a été écrite"
B -" Mais, je trouve ce terme très dérangeant"
Monk : - "Sauf votre respect Brittany. Si j'ai réussi à m'en remettre, je suis sûr que vous le pouvez aussi"
Et Brittany avant de quitter l'amphi : "Je ne vois pas pourquoi "
Quelques échanges irréels, deux minutes qui bientôt font basculer la vie de Thelonius, contraint par son conseil d'administration de prendre quelques vacances suite à la "conversation" avec l'étudiante", l'homme décide de se rendre à Chicago dont il est originaire, pour assister au salon du livre de Chicago.
Arrivé à Boston, Monk (également auteur de plusieurs romans historiques) apprend par son agent qu'une maison d'édition vient de refuser son prochain manuscrit au prétexte que :
"ce roman est écrit dans un style élégant (...) et la langue est extrêmement riche. Mais on peine à comprendre en quoi cette réinterprétation moderne des Perses d'Eschyle reflète l'expérience afro-américaine"
A quelques centaines de mètres du salon, notre malheureux auteur assistera à la conférence d'une autrice afro qui vient de publier un premier roman "Nous vivons dans le getto" déjà populaire et encensé par une critique enthousiaste. La réussite du roman fait à l'évidence écho à la phrase de l'agent de Monk : "They want a black book" , mais s'oppose totalement à la philosophie du professeur qui rejette totalement cette idée affirmant (plus tard) à l'écrivaine : "un noir écrit des romans de noir, point barre, lorsqu'il écrit des œuvres mythlogiques, il n'a pas le droit ?"
Après cette longue mais foisonnante introduction ,"American Fiction" va curieusement quitter les chemins polémiques et ironiques sur lesquels il nous avait engagé, se transformant un temps, en touchante chronique familiale. Monk retrouvera brièvement sa sœur, sa mère son frère, ce qui ne manquera pas de remettre au goût du jour les querelles du passé avec une évidente volonté d'instiller un peu d'humour dans le métrage.
Cette rupture de ton, permettra certes, une belle étude de caractères de personnages forts, la palme revenant probablement au frère, interprété, avec fougue par Sterling K. Brown, bien loin du père de famille lisse qu'il campait dans la série This is Us, mais donnera au récit un rythme un peu particulier, par ailleurs enfermé dans une mise en scène trop classique.
Evidemment, le troisième acte du film, "le passage à l'acte" de Monk (qui écrira sous un faux nom) le roman attendu par les bien-pensants, décrivant les conditions carcérales et la vie d'un gangster noir, réservera quelques belles scènes notamment lors de la confrontation de points de vue évoquée plus haut entre l'écrivain et sa consœur, lui, posant avec acuité la question de la sincérité dans l'art, de l'intégrité morale des artistes, elle, lui rétorquant "C'est mal d'écrire ce qu'ils ont envie de lire ?"
American Fiction n'apportera pas réponse, pas même un embryon de solution à la question de l'universalité dans l'art, au droit à chacun de s'exprimer en dépassant les carcans identitaires qui lui sont attribués. Mais comment apporter une réponse satisfaisante à une question si vaste en moins de heures, alors que la société actuelle n'en apporte pas elle-même? Le film a au moins le mérite de soulever ces problématiques.