Après s'être reposé tranquillement avec son film-vacances Une Grande Année (2006), Scott reprend le chemin des films à gros budget avec American Gangster, un film de gangster librement inspiré de la vraie histoire de Frank Lucas, parrain de Harlem des années 70. Mais Frank Lucas n'est pas un parrain comme les autres, ça non: il est noir. Ainsi, l'histoire - a priori classique pour le genre - de l'ascension d'un homme vers le leadership de la pègre se mêle doucement à la problématique de la ségrégation de cette époque-là, tout en instaurant un contexte historique tout à fait crédible (mais bon, pour la reconstitution historique, on fait confiance à Ridley, il connaît).
La première chose que l'on peut dire, c'est que c'est un bon film. Indéniablement. Du point de vue du scénario d'abord, certes long à se mettre en marche mais très intense et bien pensé au final (il fallait quand même coller aux faits historiques), mais également du point de vue du casting, admirablement bien dirigé: Denzel Washington excelle en Frank Lucas, et instaure en quelque sorte un nouveau genre de parrain à lui tout seul. Certes, il y a toujours le côté sanguin et nerveux que l'on connaît des Corleone et autres mafieux à l'italienne, mais cette façade calme, toujours observatrice et prudente, a quelque chose de nouveau et d'innovateur (sans transition, il m'a maintes fois rappelé le personnage de Gustavo Frings, dans Breaking Bad). Quant à Russell Crowe en film ambigu ("honnête au travail et malhonnête dans la vie", comme le dit si bien son ex-femme), il remplit correctement son rôle sans toutefois signer le meilleur de sa carrière. Les autres rôles sont également tous bons: de Josh Brolin à Chiwetel Ejiofor, tous font le boulot qu'on leur a demandé.
L'autre point fort du film, c'est comment Scott est parvenu à s'affranchir du style de Scorsese qui imprègne ce genre de cinéma. Car dès qu'on parle de films de gangster, aujourd'hui, on s'imagine aussitôt un gros italien, en costard et aux cheveux laqués, vautrés dans un fauteuil, un cigare à la main. Dans American Gangster au contraire, Scott trouve une autre identité au film, lorgnant vers Pulp Fiction (je pense au début du film, avec les scènes du personnage de Russell Crowe).
Cette identité, bien qu'unique, reste tout de même assez floue: car si l'on peut bien reprocher quelque chose au film, c'est qu'il manque d'esthétique. Je suis d'accord pour dire que les rues crades d'une Amérique corrompue sont parfaitement bien représentées; cependant, il y a quelque chose, qui devrait passer par la musique, ou par la couleur du film, qui n'est pas, ou peu présent, et qui manque assez au film. On peut également ajouter à la courte liste des défauts ce manque d'ambition du film: on sent légèrement que Scott a été tiraillé entre son désir de suivre les faits historiques et celui de créer une intrigue qui ne respecte pas la réalité. Au final, on voit Frank Lucas s'enrichir, sans voir vraiment ce qu'il y gagne, ou même voir de difficultés. C'est assez insolite pour un film de Ridley pour être signalé, mais ce film a tendance à manquer d'action, notamment dans les deux premiers tiers du film.
Cependant, ce défaut n'en est pas vraiment un, puisque à cette action vacante succède un véritable bagage de réflexion qu'offre Scott, à travers les dialogues entre Frank Lucas et le personnage de Russell Crowe notamment (pourquoi enfermer Lucas alors qu'il fait vivre des milliers de personnes ?) ou les dialogues entre Frank Lucas et son neveu, qui finit par vouloir lui ressembler. De quoi faire un film de gangster unique, qui n'atteint pas le niveau du Parrain ou des Affranchis, ou encore de Gangster Squad, mais qui parvient à se démarquer d'eux, et à constituer quelque chose de nouveau.