Soyons francs: Il était une fois dans l'Ouest ressemble à tout ce qu'on a déjà pu voir dans notre vie. Aujourd'hui, ce film n'a plus rien d'original; tout le monde connaît l'air de l'harmonica d'Ennio Morricone, tout le monde a déjà vu, dans tel ou tel film, ce schéma narratif, qui va mettre en scène le duel de deux personnages forts, tout le monde a déjà vu ce personnage féminin qui a décidé de ne pas servir de plante verte et d'avoir définitivement un véritable rôle. Lorsqu'on regarde pour la première fois Il était une fois dans l'Ouest en 2015, l'on est face à un film que l'on a en fait déjà vu à maintes et maintes reprises.
Dès son introduction, Il était une fois dans l'Ouest présage de la qualité de la maestria à venir de Leone: à travers l'une des meilleures ouvertures de films de l'histoire du Cinéma, on attend, en compagnie de ces trois truands enveloppés dans leurs caches-poussières, que le spectacle débute. Quel spectacle ? On ne sait pas. On se contente d'observer ces trois hommes, rongés par une routine qui a rendu leurs gestes machinaux, piéger une mouche dans un canon de six-coups, ou s'abreuver patiemment en attendant l'instant fatidique.
Et alors, un train arrive.
Et alors, tout se dénoue, le film est lancé, le spectacle peut avoir lieu.
J'ai vu trois de ces caches-poussière tout à l'heure, ils attendaient un train. Il y avait trois hommes à l'intérieur des caches-poussière... Et à l'intérieur des hommes, y avait trois balles.
Mythique. Symbolique de la gouaille habituelle des personnages de westerns, cette citation de l'Harmonica n'est rien par rapport au catalogue de répliques cinglantes que propose Il était une fois dans l'Ouest. Ces dialogues, extrêmement peaufinés, travaillés et authentiques, participent ainsi à modeler des personnages tout aussi peaufinés, travaillés et authentiques, campant des antagonistes de légende. D'un côté, Frank, le hors-la-loi, l'assassin au regard d'un bleu glacial, incarné par Henry Fonda, ambitieux, qui ne doute pas un seul instant qu'il est le maître de l'Ouest et que ces déserts sont ses jardins. De l'autre, l'Harmonica, le mystérieux homme, incarné par Charles Bronson, dont on ne sait rien, dont on ne connaît pas la volonté et dont chaque apparition est sublimée par la BO magistrale d'Ennio Morricone, probablement la plus célèbre et la plus emblématique de tous les temps. Et, l'accompagnant pour venger son honneur, Cheyenne, desperado chef des caches-poussière, complétant ce trio qui renvoie celui de Le Bon, la Brute et le Truand aux oubliettes.
Et puis, il y a Claudia. Probablement le personnage qui manquait à Le Bon, la Brute et le Truand: un quatrième personnage, féminin, torturant sans arrêt les sens de trois hommes qui ne cesseront de s'affronter que pour la considérer. Un quatrième personnage féminin dont on n'oublie même le nom, tant le panache avec lequel le campe Claudia Cardinale est grand: elle n'incarne pas Jill McBain, elle est Jill McBain, et sa voix grave, mêlée à son charme sans bornes, font d'elle un personnage d'une subtilité géniale et d'une authenticité rarement vue.
Si l'on ne lit pas avant de débuter son visionnage de Il était une fois dans l'Ouest que le film date de 1969, cela semble impossible à deviner. Si Leone apparaissait déjà comme un visionnaire après la sortie de son "triptyque du dollar", faisant renaître le western à sa façon, instaurant ce qui deviendra plus tard un sous-genre à part entière, le western spaghetti, il démontre avec ce film qu'il mérite plus que jamais ce titre. Que ce soit à travers ses plans, ses travellings, ses décors, ses costumes, sa mise en scène, Il était une fois dans l'Ouest excelle dans tous les domaines, au point de donner une véritable leçon de cinéma à tous ses contemporains. Le western n'aura jamais été si novateur, et la puissance de certaines scènes, amplifiées encore une fois par une BO sublime et omniprésente, tend également à conférer à ce film un statut de chef-d'oeuvre du cinéma amplement mérité.
Soyons francs: si Il était une fois dans l'Ouest ressemble à tout ce que l'on a déjà pu voir au cinéma, c'est parce qu'il est empreint d'une modernité extraordinaire, et s'apparente à être un précurseur pour les cinquante dernières années du 7e art. Qu'il s'agisse de sa forme, déjà avant-gardiste pour l'époque, ou de son fond, le premier volet du triptyque "Il était une fois" exhale cette force qu'ont les véritables chefs-d'oeuvre artistiques: une aura sublime qu'ont les films que l'on n'oublie jamais, qu'ont les films qui ont été, qui demeurent et qui seront toujours.