Si American History X n'était qu'un film sur le néonazisme aux Etats-Unis (puisque cette mouvance est la plus incarnée et la plus importante dans ce pays), il serait un très mauvais film.


Heureusement pour lui, American History X est un film sur la haine dans ce qu'elle a finalement de plus général, d'humain, une haine qui déchire des familles, et monte des membres d'une même société les uns contre les autres.


Dans son étude du discours de la haine, du discours racial, de comment celui-ci est avalé et assimilé, et de l'usage violence comme une unique solution, le film est souvent juste.
Deux scènes en particulier retiennent l'attention.
Celle tout d'abord d'un repas de famille qui confronte Dereck, néonazi désormais convaincu, à celui qui tente de devenir son nouveau père, et voit le premier déverser de plus en plus fort, avec des arguments de plus en plus lourds, de plus en plus durs, son discours ignoble, comme pris à son propre jeu et en pleine auto-conviction, sous les yeux admiratifs de sa petite amie et de son petit frère qui fera de lui son modèle.
Celle, ensuite, vers la fin, qui remonte dans le temps et donne une origine à cette violence, un père, raciste, pourtant, dans l'esprit d'adolescents, devenu incarnation de l'innocence et dont la mort, injuste (mais quelle mort peut être dite juste ?), se fait alors le fondement de l'idéologie nazie qui s'emparera d'eux.


Si le film ne donne aucune solution, il réalise une description froide et réussie des mécanismes de haine, de leur transmission, des éléments de langages repris et suivis aveuglément comme parole messianique, des arguments qui fondent un discours politique terriblement d'actualité, 22 ans après la sortie du film (le voir sous l'ère Trump qui voit un pays plus que jamais divisé et les mouvements racistes prendre de l'ampleur et ne plus se cacher, paradant avec fierté, est peut-être encore plus percutant).
Centrant une partie de son récit sur une famille qui voit la misère s'approcher furtivement (maladie, jeunesse en manque de repères, logement étroit, père assassiné, ...), le film est bon lorsqu'il décortique les conséquences de l'engagement dans les mouvements néo-nazis de ces deux frères : l'échec scolaire, la rupture d'avec leur sœur, les gestes violents, regrettés, mais pas oubliés, la maladie d'une mère tuée à petit feu par ses fils, ...


Mais dans ce qui est le cœur de son sujet, le néonazisme, le film fait preuve d'une grossièreté inattendue d'un film aussi encensé, qui anesthésie son potentiel glaçant et terrifiant.


Il faut en effet parler de la forme, en inadéquation absolue avec le fond, injustifiée et d'une lourdeur pathétique.
- Leçon de mauvais usage du ralenti : ce ne serait peut-être pas abuser de dire que le film comble son vide scénaristique par l'allongement par le ralenti de plans interminables qui, en plus d'être souvent esthétiquement laids et toujours injustifiés, ne font que souligner maladroitement une violence pourtant décriée, et appuyer un scénario déjà bourrin, pour finalement rendre le film beaucoup trop long (alors que le présent de l'action se concentrait sur une soirée, une matinée, une nuit, une temporalité admirablement ramassée).
- Musique pompeuse, criarde, grandiloquente qui ne semble présente que pour signaler l'émotion et accompagner des images déjà trop lourdes de sens.
- Incompréhensible passage d'un noir et blanc académique et très cinégénique pour les flashbacks (qui concentrent la majeure partie de l'action du film) à des images en couleur, laides et granuleuses (démarche presque documentaire), du présent de l'action.


Tony Kaye, qui signe ici son premier long-métrage, applique son esthétique de publicitaire passé au cinéma, dont le style crie souvent son désir d'en mettre plein la vue, rendant certaines scènes de violence malheureusement obscènes.


Edward Furlong, est bon dans son ambiguïté, malheureusement jamais réellement exploitée ; son rôle est réduit à celui d'un garçon sans repère convertissable d'une seconde à l'autre, que ce soit par des nazis (montrés sans finesse comme des idiots balourds, alcoolisés, se cassant le crâne sur du rock hurlant et sale, et gobant le moindre discours par effet mouton - la petite copine de Dereck, exemple parfait d'un personnage mal écrit -), ou par un frère repenti qui, en quelques minutes, le convainc de l'inverse de tout ce qu'il prophétisait jusqu'alors.
Certes, comme toujours, Edward Norton est excellent, par l'étincelle de folie qu'il arrive à glisser dans un regard, par son jeu physique, et par sa douceur (même s'il sera encore meilleur dans ce rôle de voyou en pleine rédemption dans 24 heures après la nuit de Spike Lee).


Mais le jeu des comédiens ne rattrape jamais l'extrême lourdeur d'un film sans finesse, qui accumule les symboles maladroits (un personnage tombant à genoux au ralenti, dans une posture sacrificielle, un terrain de basket comme miniature d'une division raciale à l'échelle nationale, une croix gammée tatouée sur le cœur qu'on tente de cacher devant un miroir, un nouvel homme dans la vie de la mère évidemment juif, pour ouvrir au plus large le spectre d'application de la haine, des symboles nazis que l'on décroche des murs, et, le pire peut-être, "l'ami noir" fait en prison pour révélateur de l'erreur de parcours).
Et ce ne sont pas les images, sorties d'un album de famille, des deux frères enfants (on pouvait difficilement trouver meilleur symbole de l'innocence ...) courant sur la plage, avec ralentis sur les mouettes qui volent et bruit des vagues, sur fond de discours d'Abraham Lincoln (d'ailleurs totalement hors-sujet si on replace de discours dans son contexte historique de guerre de Sécession, et rendu, par sa mauvaise utilisation, terriblement niais) qui prouveront le contraire.


American History X, par sa lourdeur symbolique et stylistique et son écriture simpliste, échoue tragiquement dans sa, pourtant nécessaire, dénonciation d'une spirale de violence et d'une haine raciale qui ronge la société américaine.

Charles Dubois

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