[SPOILERS]
Il faut bien entendu lire le livre et non pas uniquement voir le film, dont la qualité de réalisation est plutôt moyenne. Mais il offre néanmoins une retranscription fidèle du coeur du roman de Ellis.
American Psycho, c'est la folie qui provient de l'indifférenciation. C'est-à-dire d'un univers où l'identité se dissout sous l'effet des structures sociales en vigueur : compétition, capitalisme, culte du corps, etc. Le film regorge de scènes qui ne prennent de sens que depuis ce point de vue.
La fameuse scène des cartes de visite. Tout le contenu, exclusivement, de cette scène, est la rivalité dans la ressemblance. Chacun des hommes présents lutte pour être comme les autres MAIS avec une pointe de différence pour gagner une rivalité silencieuse. Les meilleures lunettes, la meilleure coiffure, la meilleure carte de visite. Le fracas avec laquelle celle de son adversaire s'abat sur la table n'est que l'écho produit par le vide existentiel qui règne dans ce monde indifférencié.
La scène où, ivre de rage, il veut s'engager dans son immeuble pour téléphoner à son avocat. Il se trompe d'immeuble, ils sont tous semblables. Il le réalise quand il entre dans celui-ci et que le portier de l'accueil l'appelle par le nom de quelqu'un d'autre comme s'il le reconnaissait vraiment : tous les gens qui rentrent là sont tellement semblables que ça ne fait aucune différence (indifférenciation). Il tue ce portier instantanément, incapable de supporter cette méprise, le fait qu'on le trouve similaire à quelqu'un d'autre. Il ressort et rentre dans le bâtiment voisin, et là le portier l'appelle par son vrai nom. Mais quelques secondes plus tard, au téléphone, son avocat ne semble pas pouvoir se souvenir exactement de qui il est même après avoir répété son nom.
La scène finale où, avouant à son avocat son meurtre d'un collègue, on lui répond mais non, je lui ai parlé il y a quelques jours. On ne sait plus si on prend le personnage joué par Bale pour un autre, si Bale a pris sa victime pour quelqu'un d'autre, s'il parle vraiment à son avocat. Les différences sont effacées, il n'y a plus aucun repère.
C'est bien la quête effrénée à la standardisation de la vie qui est dénoncée par le film. Le personnage ne commence-t-il pas par dire, dans la voiture, "I just want to fit in" ? Son souhait premier est de ne pas dépasser, d'être comme tout le monde, de s'intégrer. Il poursuit ce but à l'excès et tombe dans la folie : folie qui n'est pas vraiment la sienne mais celle du monde qui l'entoure et que nous participons tous à construire. Une dernière scène, révélatrice, sera celle où il tue un sans abri. Il ne peut supporter cet homme sans identité, presque réduit au rang d'objet et qui n'a aucune marque de différenciation. Mais en même temps il sent qu'il se dirige vers le même état symbolique. En obéissant toujours plus aux injonctions sociales de rivalité et de standardisation, il perd peu à peu ce qui fait de lui un homme.