Il est bien douloureux mais néanmoins nécessaire de le dire : le cinéma de Clint Eastwood n’est plus ce qu’il était. Après son chef-d’œuvre « Gran Torino » en 2009, force est de constater que ses films suivants n’ont plus la même saveur. Entre un film de commande très moyen (Invictus), un drame assez imparfait (Au-delà) et un biopic laissant de marbre (J. Edgar), on peut dire que Clint a bel et bien perdu une partie de son talent. Après un « Jersey Boys » passé inaperçu l’année dernière, il revient sur le devant de la scène avec le biopic de Chris Kyle, un célèbre sniper de la guerre d’Irak : « American Sniper ». Enième déception ou véritable renouveau du réalisateur ? En vérité, ni l’un ni l’autre…
Chris Kyle est ce qu’on appelle un texan pur souche. Elevé à la dure, il se découvre à l’âge adulte un devoir patriotique, celui de protéger son pays en devenant tireur d’élite. Au lendemain de son mariage, il part en Irak, et pas pour une lune de miel. Il acquiert rapidement le surnom « La Légende », ayant un grand nombre de soldats irakiens sur son tableau de chasse. Le film s’attarde principalement sur la psychologie de son héros incarné par Bradley Cooper, percutante à défaut d’être complexe. Tiraillé entre sa famille et son devoir de soldat, il a beaucoup de mal à accorder les deux, au point d’être complètement désorienté à son retour au bercail. La relation avec sa femme est d’ailleurs très bien traitée, même si elle prend le pas sur le reste de sa famille. En effet, la relation avec son père est expédiée en début de film, et celle avec son frère à peine abordée alors que ce dernier était lui aussi combattant américain en Irak. Il y avait sûrement de quoi creuser bien plus de ce côté-là.
Mais ce que le film parvient le mieux à faire, c’est retranscrire toute la fébrilité et la rapidité des combats, dans un réalisme glaçant. Dès la séquence d’ouverture, le héros se retrouve face à ses deux premières cibles : un enfant et sa mère s’approchant d’un convoi américain avec une grenade. Par un jeu de montage très abouti, on arrive à ressentir parfaitement le tiraillement psychologique de Chris. Et ce montage du son et de l’image admirable se retrouve dans bon nombre de séquences, et pas seulement celles des combats. l’Oscar du meilleur montage sonore est donc parfaitement mérité et judicieux. Dans son traitement, on pourrait presque dire que le film est une version guerrière de « Zero Dark Thirty » ou de "Demineurs". Presque, car le film ne montre pas assez l'envers du décors : l'inutilité et le gâchis de cette guerre qui a désilusionné bon nombre d'américains, à commencer par le frère du héros. Il y a aussi la toute fin du film, quelque peu décevante car trop convenue.
La démarche de Clint Eastwood est en tout cas très claire : proposer un aperçu de la guerre d’Irak très réaliste du point de vue d’un patriote convaincu, ce qui inclut d’avoir une part inévitable de patriotisme dans son propos. La guerre est vécue pour Chris Kyle comme une nécessité absolue, ce qui place « American Sniper » en opposition totale avec des films comme « Full Metal Jacket » qui remettent en cause la légitimité de faire la guerre. Mais ce patriotisme que bon nombre lui reproche sur ce film est assez nuancé pour n’être pas vain. En fait, le film arrive à trouver un bon équilibre entre son traitement réaliste et son devoir d’hommage et de respect envers le personnage qu’il traite, malgré un propos un peu trop manichéen. On a finalement affaire ici au meilleur film de Clint Eastwood depuis six ans, alors pourquoi bouder son plaisir ?