1 étoile comme quand un prof te met 1/20 pour avoir écrit ton prénom.
Je crois que, comme beaucoup ayant fait la même expérience que moi, je ne sais pas quoi dire ni même s’il faut dire ou pas. S’il n’est pas plus raisonnable de se taire, de laisser la sortie de ce film se tasser et de prier un Dieu, n’importe lequel, que le monde du cinéma, et pas que, OUBLIE. Mais on dit que se taire c’est cautionner, je dis que se taire c’est cautionner, alors je vais parler. Il faut juste me laisser le temps de trouver par où commencer et la bonne logique pour ne rien laisser passer.
Aujourd’hui, j’aurai voulu qu’on me paie pour aller au cinéma, aujourd’hui, pour la première fois de ma vie, je ressens l’horrible sensation d’avoir moi-même participé à l’acte le plus immoral par les temps qui courent. Je m’en excuse, je m’en excuse auprès de l’humanité et je me repentie aux yeux des Justes.
Dès les premières secondes, dès les premières images d’un lieu dévasté par la guerre et représenté par tous les clichés qui nourrissent les phobies d’aujourd’hui, j’ai su que ma place n’était pas devant ce film, que je ne pourrais assumer jusqu’au bout d’avoir participer aux recettes d’American Sniper. Saleté de plan en contre plongé qui nous met tout de suite dans les yeux du sniper, dans la tête du sniper et qui nous y enferme jusqu’au bout, ne permettant aucune distance critique. Saleté de plan, saleté de film et saleté d’armée de MERDE représentante d’une nation impérialiste de MERDE qui se croit reine d’un monde de MERDE et autorisée à tout dire depuis que deux avions de MERDE ont percuté deux tours de MERDE. Saleté d’époque et merde de cinéaste qui promeut la haine.
Seconde image, seconde angoisse voilà que Clint en manque d’inspiration plagie Catherine Bigelow sans en avoir le talent. Parce qu’il y a quoi d’innovant dans cette illustration d’un peuple rendu con par le droit de port d’arme et une légende egotrippante qui fait croire à chaque membre de ce peuple qu’il peut être Dieu s’il le veut, qu’il est la force et le héros du monde, que le devoir est de supprimer tous ceux qui s’opposent à l’idéologie de l’Etat et que la guerre massive est un bon droit quand on subit une attaque ? Catherine Bigelow l’a déjà dit avec les mêmes images, les mêmes stéréotypes mais en dénonçant un peu tout ce merdier, en se levant un peu contre toutes ces choses que le monde d’aujourd’hui veut nous faire admettre comme normales.
Puis l’angoisse m’a poursuivie et s’est transformée, petit à petit, en désespoir. 134 minutes. 134 putains de minutes à espérer voir quelque part, dans un coin de l’écran, un espoir. Quelque chose qui m’aurait fait dire « c’est quand même un grand cinéaste. Un connard, mais un grand cinéaste. » 134 minutes avec la peur de me sentir coupable à la fin. Pas manqué, je me sens coupable à ta place, vieux Clint, coupable d’appartenir à ce monde qui t’autorise impudiquement à étaler ta pensée de vieillard sénile sur ses écrans. Il n’y a rien dans American Sniper, rien du Clint Eastwood que j’ai un jour respecté, qui a su me faire vibrer, pleurer, m’indigner. Rien de ce qui m’a fait dire tant de fois que Clint Eastwood est un grand réalisateur, qui sait lire le monde et en donner une vision juste, dans le fond comme dans la forme. Rien. Si ce n’est le mépris et l’arrogance d’un homme qui considère que la guerre est triste quand elle est justifiée et normale quand elle ne l’est pas.
Ce soir, je repense aux chefs d’œuvre Lettres d’Iw? jima et Mémoires de nos pères, je repense à ces deux films qui m’ont accompagnée si longtemps et je pleure à l’intérieur. Je pleure de cette impression de m’être fait berner, de ne pas avoir compris avant l’intertexte, de ne pas avoir su lire entre les lignes. Je pleure d’être là, aujourd’hui, et de devoir assumer ça.
Peu importe la réalité à laquelle American Sniper se réfère, rien ne peut justifier l’image que donne le film du conflit en Irak. Rien. Le film est un mensonge fait de raccourcis et le premier de ceux-ci est dans la pitoyable scène de famille où le père de Chris dit à ses enfants : « dans la vie il n’y a que trois choses : soit tu es une brebis, soit tu es un loup, soit tu es un chien de berger. » Le chien de qui ? De l’Amérique qui prend son peuple pour des cons. D’un pays terroriste où l’endoctrinement est si fort que les enfants n’ont qu’à écouter les paroles de leur père pour être des chiens. De raccourcis en raccourcis, tous les irakiens ne sont que des sauvages et la vie des enfants de sauvages n’a pas de valeur. N’a de valeur que ce putain de sniper dont le personnage est si mal construit qu’il ne peut que venir de la réalité. Reste encore la question de pourquoi lui consacrer un film ? Parce qu’on adhère, il n’y a pas d’autre raison et parce qu’on espère faire féconder dans une société putassière plein de mini-Chris qui, plus tard, iront dégainer leurs mitraillettes sur plein de petits sauvages.
Il n’y aura rien pour gratifier American Sniper dans cette critique : les images sont moches, celles de synthèse sont carrément une honte pour le cinéma, le scénario est un appel à la haine qui tient à peine debout – à l’image de l’absurdité de cette guerre, les personnages sont insipides. N’en reste que cette curieuse envie de se désolidariser d’un monde qui engendre ce qu’il combat jusque dans ses salles de cinéma, jusqu’à mettre le discours dans la bouche du plus grand qui aujourd’hui, est incontestablement le plus petit. Un petit homme à mettre en enfilade avec son homologue français Godard qui ose dire dans les journaux que Marine Le Pen devrait être au pouvoir.