En 2014 Peter Berg était venu rendre hommage à un corps d'armée spécifique en s'emparant d'une histoire vraie. Le réalisateur du controversé Le Royaume mettait en scène la dégradation du corps et ses limites physique à travers le quotidien de soldats américains sur le terrain et offrait, au passage avec Du Sang et des Larmes, l'un des plus grands spectacles réalistes et viscéraux de l'année. En 2015, c'est au tour du grand Clint Eastwood de s'emparer d'un fait de guerre encore tout chaud. Mais contrairement au film de Berg ou à ceux de ses confrères et consoeurs Scott/Bigelow, ce qui handicape grandement American Sniper c'est d'abord sa construction narrative lassante. En effet là où ce besoin qu'a le personnage de Chris Kyle de retourner encore et toujours au front aurait dû faire naître chez le spectateur un sentiment de malaise (ou un sentiment tout court d'ailleurs), ce va-et-vient géographique constant devient au contraire très vite pénible et redondant. Ensuite (et c'est plus dommageable) vient cette absence totale de corps voir de substance, car American Sniper ne nous dévoile pas grand-chose et n'est qu'une magnifique coquille vide (techniquement impeccable et servi par une excellente prestation de la part des acteurs). À l'arrivée, c'est bien la passivité à laquelle le spectateur se retrouve confronté qui en résulte, et si encore American Sniper pouvait se rattraper sur ses quelques séquences d'actions... Mais ça n'est même pas le cas !
Moins habité, moins personnel pour finir par être complètement dénué d'âme, on sent la dernière œuvre d'Eastwood tiraillée de toute part (les enjeux autour de la famille Kyle étaient sans doute trop lourds à traiter). Et si certains aiment mettre en avant toute l’ambiguïté qui émane du film (qui est réellement Chris Kyle en fin de compte ?), d'autre se demandent encore sérieusement ce que le réalisateur de Gran Torino a bien voulu raconter pendant plus de 2h tant l'absence de point de vue sur un tel sujet se révèle être particulièrement dommageable.
Alors on peut trouver le point de vue de Berg "bas du front" sur Du sang et des Larmes (mythe du combattant, avec ses idéaux, ses valeurs...), on peut trouver celui de Ridley Scott consternant sur La Chute du faucon noir...Mais ce qui est sûr c'est qu'au moins, eux, ils en avaient un.