Les films de l'ère Pré-Code (voir cette liste, inspirée de l'émission Pendant les travaux, le cinéma reste ouvert présentée par Jean-Baptiste Thoret) ont toujours ces petits moments surprenants, ces scènes qui rappellent qu'il s'agit d'une époque très particulière du cinéma américain, située entre 1930 et 1934, avant que la censure du code Hays ne dicte sa loi en termes de criminalité, de sexualité, de décence, de patrie et de religion. On peut totalement ignorer cette caractéristique-là en se lançant dans Âmes libres, mais lorsque surgit à l'écran la nuisette satinée de Norma Shearer, censée en théorie cacher sa nudité alors qu'elle en révèle au contraire les formes sensuelles, l'électrochoc ainsi produit rappelle vivement le contexte de production si particulier. Beaucoup d'autres passages, de par les sous-entendus très prononcés qu'ils affichent ou le flottement qu'ils entretiennent volontairement (Est-elle nue derrière la porte ? Est-ce son père ou son amant ?), renforcent cette sensation. Et au-delà de ces aspects purement formels, toute la thématique ayant trait à la libération de la femme, avant que le féminisme contemporain n'existe, vaut le détour.
Les relations à l'homme que la protagoniste entretient sont relativement équivoques : il y a tout d'abord celle avec son père (Lionel Barrymore, souvent convaincant), présenté de manière très ambiguë (voire incestueuse) au tout début, un avocat alcoolique pour qui elle éprouve un amour clair. Il y a également celle avec Leslie Howard, l'homme avec qui elle aurait dû se marier, mais qui se voit éclipsé (à tous les niveaux) par le jeune Clark Gable, dans la peau d'un gangster fort séduisant. Forte d'une éducation très progressiste pour l'époque, au centre de trois figures masculines très différentes, Norma Shearer se retrouvera au cœur d'une situation quelque peu délicate.
A Free Soul introduit ainsi une personnalité de femme forte, profondément libre, dont la conception de la féminité et de la liberté, apparemment indomptables, perturbera le personnage macho de Clark Gable. Le style global, un peu ampoulé, ne permet pas d'adhérer entièrement au crescendo émotionnel, et le monologue final du père au seuil de la mort paraît très forcé vu d'aujourd'hui. Mais sur cet arrière-plan très théâtral flottent quelques passages prenants, quelques répliques saillantes ("Has he been drinking? — Well, it wouldn't be a lot for a camel or one of them things" ou encore "I just don't want to get married, Dwight. I don't want life to settle down around me like a pan of sour dough. I don't want it one little bit."), qui rendent le message tout à fait intelligible et plaisant.
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