Comme il est de bon ton d'affirmer qu'Haneke est un manipulateur, il serait intéressant qu'on nous explique comment ce présupposé s'applique à son dernier film. Suivant une structure limpide dans un décor unique, Amour avance à découvert, comme ses acteurs, et ne nous prend jamais pour des imbéciles.

Amour n'est pas un film réaliste. Amour est un film du verbe, de la gestuelle et du sens. À l'instar de Vous n'avez encore rien vu ou de César doit mourir, Amour est un film théâtral, donc un fantasme de réalité, une évocation décalée, un point de vue assumé. Toute critique, sur le "trop" ou le "pas assez", de la manière dont la maladie et la déchéance physique sont montrées, est donc non avenue. Idem pour des dialogues qui ne seraient pas en phase avec la notion de réalisme : hors sujet.

Anne et Georges sont des octogénaires aisés. Musiciens, intellectuels, déjà en dehors du monde, ils ont pour habitude de parler, échanger, dialoguer, mettre en mots toute pensée. C'est ainsi qu'ils abordent ce qui sera leur dernière étape ensemble, la maladie d'Anne. La disparition progressive de la parole va accompagner la dégradation d'Anne. Quand on ne parlera plus, tout sera terminé.

Amour n'est pas un film sur la maladie, à peine sur la vieillesse. Comme son titre l'indique, Amour est un film d'amour. Cet amour est présent à chaque seconde du film, dans chaque regard de Georges, chacune de ses paroles, chacun de ses gestes. Amour n'est pas un film bouleversant. La fin de l'amour n'est pas bouleversante. Amour est un film tendu, glaçant et désespéré.

On peut s'agacer du jeu décalé et de la diction d'Emmanuelle Riva, bien souvent en décalage avec ce que son corps dit. Cela rend son personnage moins sympathique. Mais pourquoi le serait-il ? Il n'en reste pas moins que la première partie souffre de ce ton, qui accroche et brise la musique. C'est le seul bémol du film.

Alors qu'Emmanuelle Riva joue Anne, Jean-Louis Trintignant est Georges. Il est cet octogénaire à la démarche bancale et aux bras raidis, qui prend son temps pour les gestes du quotidien, mais continue avec détermination à suivre la voie qu'il se trace. Dans Amour, c'est Trintignant qui se met à nu, Trintignant qui impose sa présence et sa grâce à chaque image d'un film qui repose en entier sur ses épaules. Parler de son immense talent n'est rien. Il n'y a pas de mots pour évoquer cette voix merveilleuse, cette musique des mots, ce rythme si particulier nourri de douceur et de force. Jouant de tout son corps, des regards, des sourires, de son impuissance même, Trintignant vit son personnage avec un abandon exceptionnel. Personne d'autre que lui, à part Piccoli peut-être, n'aurait pu être Georges à ce point. Amour est un film d'amour sur Jean-Louis Trintignant.

Haneke a choisi un appartement de théâtre pour filmer ses personnages. Un hall d'entrée trop grand, des perspectives perdues, des distances trop longues pour qui n'arrive plus à se déplacer normalement. Cela non plus, n'est pas réel, tout comme le cauchemar de Georges, et cette magnifique scène, burlesque et dérisoire, de chasse au pigeon... De même, les personnages secondaires, figures de théâtre, jusqu'à la propre fille du couple, n'apparaissent que comme des intrus, des visiteurs déplacés. Ici l'amour se vit à deux, puis seul.

On pourrait écouter Jean-Louis Trintignant raconter ses souvenirs d'enfance pendant des heures, des heures, et des heures encore...
pierreAfeu
8
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à sa liste Top cinéma 2012

Créée

le 7 nov. 2012

Critique lue 316 fois

4 j'aime

4 commentaires

pierreAfeu

Écrit par

Critique lue 316 fois

4
4

D'autres avis sur Amour

Amour
Teklow13
8

Critique de Amour par Teklow13

Il y a l'amour qui nait, celui qui perdure, celui qui disparait, et puis il y a celui qui s'éteint, ou en tout cas qui s'évapore physiquement. Si certains cinéastes, Borzage, Hathaway, ont choisi de...

le 22 mai 2012

88 j'aime

11

Amour
guyness
6

Gérons tôt au logis

En fait, ça m'a frappé à peu près au milieu du film. Amour est un remake de l'exorciste. Vous savez, cette angoisse qui va crescendo à chaque appel venant de la chambre. A chaque incursion dans...

le 26 févr. 2013

67 j'aime

24

Amour
Grard-Rocher
9

Critique de Amour par Gérard Rocher La Fête de l'Art

Anne et Georges forment depuis bien des années un couple soudé et très respectueux l'un vis à vis de l'autre. Ils habitent un très bel appartement parisien dans un quartier bourgeois. Leur vie de...

53 j'aime

34

Du même critique

Nocturama
pierreAfeu
4

The bling ring

La première partie est une chorégraphie muette, un ballet de croisements et de trajectoires, d'attentes, de placements. C'est brillant, habilement construit, presque abstrait. Puis les personnages se...

le 7 sept. 2016

51 j'aime

7

L'Inconnu du lac
pierreAfeu
9

Critique de L'Inconnu du lac par pierreAfeu

On mesure la richesse d'un film à sa manière de vivre en nous et d'y créer des résonances. D'apparence limpide, évident et simple comme la nature qui l'abrite, L'inconnu du lac se révèle beaucoup...

le 5 juin 2013

51 j'aime

16

La Crème de la crème
pierreAfeu
1

La gerbe de la gerbe

Le malaise est là dès les premières séquences. Et ce n'est pas parce que tous les personnages sont des connards. Ça, on le savait à l'avance. Des films sur des connards, on en a vus, des moyens, des...

le 14 avr. 2014

41 j'aime

21