C'est une Espagne froide et austère, celle de Grenade et sa forte amplitude thermique, ses hivers rudes, ses montagnes proches, la raideur des boiseries sombres, la lumière basse, un tableau de Velasquez, les traditions religieuses, une Espagne déroutante parce que dépassant ses représentations habituelles.
Le premier plan sublime imprime la marque d'une mise en scène sophistiquée au classicisme inspiré. L'image circonscrite au millimètre inclue souvent un second cadre dans le cadre, travaillant constamment sur des contrastes dedans/dehors, les noirs s'associant aux marrons, aux ocres pour les intérieurs sombres, les extérieurs éclatant de la lumière blanche des sommets enneigés.
C'est un film d'esthète, le long récit d'amours irraisonnées, de chair que l'on mange après de brèves caresses, de désirs réfrénés puis assouvis par la consommation rituelle de viande humaine. C'est un film terrible sur la solitude, la peur de l'autre, la peur de vivre. C'est une plongée troublante dans les entrailles du désir, là où l'envie de l'autre dépasse la pulsion sexuelle, l'expression "manger tout cru" prenant alors une dimension tangible.
Magnétique et fragile, prédateur à la redoutable froideur, capable de nous faire partager de subtiles émotions, Antonio de la Torre est magnifique. Son charisme sublime la mise en scène inspirée de Manuel Martin Cuenca, tout comme la sensuelle et naïve Olimpia Melinte en double contrepoint charnel.
Amours cannibales est un film d'une grande élégance dont le caractère horrifique davantage mental que visuel se nourrit de rituels répétés, de frustrations douloureuses et d'amours impossibles, un film entêtant qui interroge nos intimes désirs et réveille en eux d'étranges appétits.