C'est un film qui ne se regarde pas, mais qui s’éprouve

Alejandro González Iñárritu, avec Amours chiennes, frappe à l’os et plonge les mains dans la poussière du Mexique. Premier volet d’une trilogie de la perte (21 Grammes, Babel), ce film est d’une brutalité rare, pulsé par un montage convulsif et une image granuleuse, Amours chiennes est moins une fresque qu’une dissection sans anesthésie : celle d’une société gangrenée par la misère, la violence et l’irréversibilité du destin.

Tout part d’un crissement de pneus, d’un choc brutal sur le bitume. Trois trajectoires s’y télescopent. Iñárritu ne va pas filmer pas ces récits comme des blocs autonomes, mais comme des fragments arrachés d’une même plaie :

Octavio tente d’échapper à sa condition par l’amour et la sauvagerie des combats de chiens. Il croit au déracinement, au départ possible. Cofi, le pitbull d’Octavio, forge son destin dans l’arène, martyrisé pour servir l’ambition de son maître. Mais son sort est celui d’un mirage : l’animal survit, son maître chute.

Valeria, mannequin en vitrine, voit son monde doré s’effriter. Elle découvre que le luxe est un piège, une prison où même un petit chien peut devenir le symbole de l’effondrement. Ritchie, le chien perdu de Valeria, s’enfonce sous les décombres d’un appartement, prisonnier d’un confort qui se mue en tombeau. Il devient l’ombre d’une femme qui, peu à peu, s’efface elle-même.

El Chivo, révolutionnaire devenu tueur à gages, erre parmi les ruines d’une cause oubliée. Ses chiens errants sont les derniers témoins de son humanité perdue.

À travers eux, Iñárritu donne à voir un monde où les hommes se déchirent, les chiens souffrent en silence.

Le choc d’Amours chiennes ne tient pas qu’à son récit : il est avant tout une question de rythme et de texture. Filmé en 16mm, porté par une photographie crue, proche du documentaire, le film épouse l’organicité des rues de Mexico. La caméra tremble, s’engouffre dans les ruelles, épouse la brutalité des gestes. Chaque plan est une immersion, chaque coupe une déflagration. Le montage, frénétique, refuse la complaisance. Il ne s’agit pas d’expliquer, mais de faire ressentir : le déséquilibre est permanent, comme si le film lui-même vacillait sous le poids de ce qu’il montre.

Amours chiennes n’est pas un simple film : c’est une gifle, un chaos filmé à vif, une radiographie sans concession d’un Mexique gangrené par la violence et l’injustice sociale.

Brûlant, viscéral, inoubliable. Amours chiennes est un film qui ne se regarde pas, mais qui s’éprouve.

cadreum
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