Sans Soleil
Dans ce qui restera l'unique long-métrage de Hu Bo, qui mit fin à ses jours peu de temps après l'avoir achevé, le fond et la forme s'associent pour accoucher d'une œuvre d'une grande force lyrique...
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le 8 janv. 2019
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Récit d'un dimanche soir qui tourne mal : partie innocemment voir Spider Man, je me retrouve avec une amie déboutée de mes plans (salle comble pour notre film d'élection) et avec un choix à faire dans l'urgence : quel film aller voir à la place? Et zou, un film chinois a l'air pas mal, 7/10 sur sens critique, thème inconnu, aller on se lance.
Grave erreur.
Le film dure quatre heures. Quatre heures où l'on sombre dans un récit interminable et glauque, qui alterne entre les vies moisies d’une poignée de personnages médiocres, misérables, aigris, lâches… les qualificatifs ne manquent pas. A titre d’exemple, un affreux jojo qui harcèle les âmes faibles de son collège, en particulier un des personnages principaux, petite chose moche, solitaire et terne qui vit dans la peur de cette racaille ricanante et obèse. Un jour, le téléphone dudit affreux disparait (téléphone dans lequel a été prise une vidéo de l’unique compagnon d’infortune du premier gosse, qui se révèlera aussi lâche et fourbe que les autres, en train de pisser). Notre timide victime se retrouve taxée de responsable par le gros méchant local qui l’apostrophe dans l’escalier du collège : sur un malentendu, ce dernier fera une chute et sera grièvement blessé, signant l’arrêt de mort du premier gamin qui n’aura d’autre choix que de fuir pour éviter les remontrances de la famille. Victime d’une accusation parfaitement injuste, il n’aura d’autres alliés que lui-même: constamment brimé par son père qui lui reproche son existence même, laissant indifférent une équipe enseignante cynique et paresseuse, qui a abandonné l’essence même de sa mission (de l’aveu d’un des responsables, les gosses du collège n’ont aucun avenir) et n’est sensibles qu’au jeu des hiérarchies locales (le méchant garçon vient d’une famille « qui compte », on ne s’y oppose pas). Une des premières scènes donne le ton : le gosse s’assoit sur une chaise qui s’effondre, préparée à son attention par d’autres gamins de la classe ; tout le monde s’esclaffe, le professeur aussi.
La loi du plus fort est la seule qui vaille. Les forts sont cruels, méchants, retors, les faibles sont couards, médiocres, incapables de voir plus loin que leur petit intérêt personnel, et n’attendent qu’une occasion pour pouvoir à leur tour malmener et humilier le plus petit que soi. Tous les rapports humains sont marqués par la méchanceté, la médiocrité et la peur, et représentent une éternelle source de souffrance pour les êtres coincés dans cet univers clôt : le leitmotiv du film est cet « éléphant assis tranquille », destination absurde que ne cesse d’évoquer un petit groupe de personnage (ceux qui vraiment, s’en prennent pleins les dents). Ils essaieront finalement de partir, tout en martelant l’idée que « rien ne changera jamais » et que le salut ne se trouve nulle part. On découvrira en sortant que le réal s’est donné la mort juste après le montage, et paix à son âme, on comprend pourquoi.
Et tout ça avec une lenteur inhumaine, dans une ville laide, sale, bruyante. Les prises de vues tout bonnement dégueulasses : une caméra embarquée qui suit, pendant en cumulé au moins dix minutes je pense, le gosse qui marche, parfois sans musique, laissant par moment son sac à dos hors-champ, enfin la prétention du cinéma d’auteur à pouvoir imposer n’importe quoi à son spectateur n’a plus de limite. J’ai compté : un plan noir à un moment dans le film dure plus de plus de 7 secondes !
Agonie dans la salle, où le mec devant moi n’hésite pas à siester pendant les deux tiers du film (il avait la place de s’allonger, ceci dit, on devait être une petite vingtaine tout au plus), la porte claque à plusieurs reprises pour laisser partir les spectateurs assommés, ceux qui restent ont les yeux rouges, la mine ratatinée, et nous restons à sécher là en attendant courageusement le générique de fin (mais pourquoi, pourquoi ??). Bref, la soirée sympa du dimanche soir se transforme en un long marathon qui nous laisse, complètement sonnées, retrouver l’air frais à une heure du mat, avec un sentiment d’écœurement qui perdurera pendant plusieurs jours après le visionnage. Si c’était l’objectif, il est bien rempli. Ames sensibles, fuyez !
Camille
Créée
le 6 déc. 2019
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2 commentaires
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