Le titre ne sera pas démenti : c'est bien une histoire d'amour qui nous est livrée ici, superbe, profonde, extatique, déchirante... Toma (Mircea Postelnicu) et Ana (Diana Cavallioti) se rencontrent dans leur faculté de Lettres. Toute la séduction éclaboussante qui peut irriguer une conversation qui se voudrait encore purement philosophique jaillit des corps, des visages, des gestes fébriles, dès la scène d'ouverture.


L'accompagnement de ce duo amoureux s'organise ensuite de façon morcelée, dans un désordre chronologique, au gré des évocations qui surviennent lors des séances d'analyse. Toma parle. Plus encore que le visage, ce sont les cheveux, amples et fous, puis plus maîtrisés et rares, qui permettent immédiatement une datation de l'épisode qui nous est donné à voir. Le psychanalyste - Adrian Titieni, que l'on a déjà vu en pater familias dans le très beau "Illégitime" (2016, Adrian Sitaru), incarne ici un thérapeute avec beaucoup de présence et de naturel - reçoit cette parole et se risque également, en de fréquentes interventions qui tentent de tailler un chemin, d'organiser une vision dans le flot d'émotions qui se déverse. Un escalier qui enroule un colimaçon lumineux s'élève à l'arrière-plan, au-dessus de son fauteuil, semblable à celui, ténébreux, qui rend visible le travail de la pensée, dans "Le Philosophe en méditation", de Rembrandt... Dans cette construction éclatée visant à remembrer un amour mis en pièces, le temps des séances est le seul temps stable, le temps repère, celui à partir duquel se structure le regard.


Calin Peter Netzer excelle à filmer les différents états de l'amour : la proximité des visages, leur intrication heureuse, leur peau à peau ; la caméra se fait proche, participe à la fête, au trouble, presque... Le cinéaste recueille le temps miraculeux où chacun se fait, non seulement amant de l'autre, mais comme parent de l'autre, se plaçant à son origine, source et garant de son être : Toma, soutenant Ana dans ses crises de panique, héritages d'un passé trop lourd avec un père puis un beau-père ; Ana, enfant-mère en diable, câlinant Toma et lui chantant une berceuse populaire, plus tendrement qu'on ne la verra jamais faire avec leur propre enfant...


Le délitement du lien est montré avec la même précision entomologiste, le creusement des visages, leur perte d'âme, le ravage subi ; pendant que celui qui semblait autrefois fragile et vulnérable, parcouru de tics, devient froid, régnant, altier, laqué d'une superficialité qui garantit sa dureté. Il est significatif, alors, qu'une scène de pleurs abondants ne soit possible qu'en rêve, le seul du film... Dans le réel, les partis, dévastés, blindés, se sont bien trop desséchés...


À côté de cette étude, terrible, sur l'inversion, avec le temps, des rapports de force, mais aussi le changement de leur nature (car l'une, initiale, était bienveillante et protectrice, alors que l'autre se fait écrasante, et comme vengeresse de sa première faiblesse...), le regard ne se limite pas au microcosme terrible du couple et ne dédaigne pas, au passage, de se faire témoin d'un monde empli de contradictions : un curé apportant, lors d'une confession, plus de compréhension et d'intelligence de la situation qu'un psychiatre, ne songeant qu'à administrer ses drogues... Les deux familles parentales, dont la plus folle n'est pas nécessairement la plus sommaire ni la plus bornée...


L'image est crue, sans fard. Avec Mungiu, Sitaru, le cinéma roumain avait déjà commencé à nous habituer à un regard sans concession porté sur le monde, comme si, après tous les mensonges officiellement institués, il n'était pas souhaitable que l'art crache un nouvel écran de fumée. Avec Calin Peter Netzer, un nouveau membre semble entrer dans cette famille de regards.

AnneSchneider
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le 13 juin 2017

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Anne Schneider

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