Une Éducation malade
Le hasard fait parfois bien les choses : juste après le visionnage du médiocre La salle des profs, film allemand réalisé par le cinéaste d’origine turque İlker Çatak, m’est donné à découvrir...
Par
le 17 mars 2024
Anatolia donne parfois la sensation d’assister à la réminiscence d’un souvenir, celui du réalisateur sur sa jeunesse lorsqu’il était lui aussi perdu au sein du pensionnat. L’Anatolie est une région de la Turquie qui trouve une spécificité, ses fortes neiges lors des hivers aux températures les plus basses. Yusuf est un élève curieux, mais perdu dans le moule scolaire. Lorsque son ami Memo tombe dans un état d’inconscience, c’est à la fois l’esprit du garçon qui est inquiété de son sort, mais également tout le personnel enseignant. Impressionnant par sa maîtrise du cadre comme de la circonscription de temps et de lieu parfaitement arrangée, Ferit Karahan ne cherche pas à forcer l’émotion mais plutôt à comprendre les réactions initiales de chaque individu au sein de l’unité scolaire.
Lui-même est le premier à le savoir, l’enseignement turc n’est pas le plus commode et bien différent de celui tel qu’enseigné dans de nombreux pays. Les pensionnats font davantage office de prisons scolaires, que le huis clos vient renforcer ici, tant il y règne l’ordre et la punition. Dans ce registre, le metteur en scène excelle à ne pas accentuer les traits, quelques scènes suffisent à décrire le quotidien des jeunes élèves. Une phrase de travers, un geste, la punition coule de source. Pourtant, le film ne s’apparente heureusement pas à un misérabilisme convenu lorsqu’il s’agit de dépeindre ces conditions. A ce stade, Karahan se soucie surtout d’illustrer l’échec absolu de l’unité qui tente de prospérer au sein de l’établissement. Par le manque de moyens d’abord, sublimement évoqué par ce jeune faisant office d’infirmier, le retard complet du personnel médical, mais encore l’absence de règles communes à tous.
Sans justifier le comportement déplacé et quoiqu’un peu lamentable des enseignants, le cinéaste se plait à jouer sur la culpabilité de chacun de ses personnages principaux, ayant participé à tour de rôle au malheureux évènement. Contraint de mentir ou de ne rien dire dans le seul but de ne pas perdre leur place, chacun subit également les actions des uns et des autres. Une vitre cassée, une porte laissée fermée, une punition durant un peu trop longtemps, tout cela est un ensemble de facteurs qui concernent un individu et tant d’autres. Comment gérer cela ? La mise en scène illustre parfaitement cette impossibilité collective, la caméra restant souvent rapprochée des personnages, qui peut rappeler à ce titre le sublime Un Monde sorti cette année, usant toutefois moins de l’hors-champ.
C’est un périple psychologique ressenti par Yusuf, logiquement filmé à la caméra portée, Karahan privilégiant les grands angles pour le montrer seul face au monde. Le personnage est magnifiquement incarné par Samet Yildiz, arborant des expressions lourdes de sens, et qui en disent long aussi sur le masque social qu’il est obligé de revêtir. En larmes face au corps inanimé de son jeune ami, le personnage réagit quelque part comme ses aînés au téléphone. Réagissant d’abord par l’impulsivité en vue de se protéger le premier, Yusuf commet une erreur. Il finit par comprendre le sens des responsabilités, le peu de choses que l’individualisme puisse lui apporter.
Anatolia n’est pas dénué de défauts et manque certainement de quelques minutes pour être le grand film espéré. Mais que dire devant de telles performances, un soin constant apporté à l’écriture des personnages, et cette sincérité du regard de l’artiste sur son personnage principal. Ferit Karahan trouve un juste milieu rare en préférant la simplicité aux grands discours, les échanges crus aux bons sentiments, la culpabilité à l’innocence.
Un film très juste, qu’il faut soutenir.
A retrouver ici : https://cestquoilecinema.fr/critique-anatolia-reminiscence-dun-souvenir/
Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à ses listes 2022 : Une année cinématographique et Les meilleurs films de 2022
Créée
le 8 juin 2022
Critique lue 169 fois
4 j'aime
D'autres avis sur Anatolia
Le hasard fait parfois bien les choses : juste après le visionnage du médiocre La salle des profs, film allemand réalisé par le cinéaste d’origine turque İlker Çatak, m’est donné à découvrir...
Par
le 17 mars 2024
Un film sur des garçons dans un internat aux règles très strictes – cela vous rappelle quelque chose ? Une petite différence, cela se passe dans les montagnes d'Anatolie. Ce film vaut largement...
Par
le 10 juil. 2022
Au cœur d’un pensionnat pour jeunes garçons kurdes dans la région de l’Anatolie orientale, Yussuf essaie de sensibiliser les adultes de l'établissement à l'état de son camarade Mehmet, sérieusement...
le 22 nov. 2021
Du même critique
Tout droit sorti des cartons Netflix, Athena s’apparente au film de banlieue comme pouvait l’être BAC Nord l’année dernière. Alors que le soldat Abdel peine à se remettre de la mort de son frère,...
le 26 sept. 2022
50 j'aime
6
Il n’est jamais agréable de constater le piètre jeu d’un acteur que l’on apprécie, surtout lorsqu’il est dirigé par un auteur. Le film d’Arnaud Desplechin est une souffrance constante, paralysée par...
le 23 mai 2022
37 j'aime
3
Il n'était pas possible d'attendre quoi que ce soit de ce deuxième volet du déjà très oubliable Black Panther, pour la simple raison qu'il n'y avait encore rien à ajouter à la matière très fine de...
le 20 nov. 2022
20 j'aime
1