C'est une scène banale, vivante qui ouvre le long-métrage de Justine Triet dont la mélodie entrainante affichera bientôt un air macabre, enfermant en son sein le mécanisme, le mystère, le secret de la chute physique d'un homme, résultant de sa chute psychologique et morale, et entraînant inexorablement la chute de ses proches, des êtres aimés, de sa famille; l'homme est tombé, sa femme et son fils avec lui, mais il faudra que ces deux martyrs sombrent et se déchirent à nouveau au cours d'un procès se posant sur la brèche, la déchirure, le déchirement premier.


Tout d'abord, la détresse, la désespérance, le désespoir, les émotions, sentiments des personnages ne nous seront aucunement épargnés, la caméra de Justine Triet s'évertuant à suivre ceux-ci constamment, dans une voie quasi naturaliste, nous exposant sans filtre aucun le doute aux allures de certitude, et inversement, de Daniel lorsque celui-ci doit livrer par plusieurs fois son témoignage, ainsi que l'oppression exercée par les différents partis attachée à cette prise de parole et exprimée par cette caméra inquisitrice entourant, cernant le pauvre garçon, depuis la place de chacun de ses oppresseurs.


De même, la réalisatrice nous plonge dans la tristesse, le trouble, l'effondrement de cette mère face à la mort de son mari, face aux éléments de sa vie maritale retournés sans relâche par l'avocat général l'enterrant dans ses retranchements, instillant le doute quant à son innocence et la laissant seule, terriblement seule; dans cette voiture, de nuit, seule la noirceur étouffante de celle-ci et du voyage la côtoie; son fils l'a momentanément abandonnée, son avocat désireux de la séduire la juge et doute de sa pleine innocence tandis que le système judiciaire finit de l'isoler entièrement, secondé par la barrière de la langue complexifiant davantage, l'établissant d'autant plus libre d'interprétation, le compte-rendu, l'analyse impossible des sentiments et passions du couple exigé par la loi; Sandra Voyter est seule, entourée par une noirceur étouffante, face à l'autopsie de son couple et de sa vie livré à la presse, aux gens, au public.


Justine Triet ne lâche ainsi jamais ses personnages et prend réellement le temps de nous les montrer, dans leurs feux, dans leurs pleurs et dans leur nombreux, parlants et émouvants silences. Des silences qui nous permettent de voir des personnages prendre vie et dont les yeux, pour certains, semblent avoir déjà accepté la mort.


Et lorsque musique il y a, celle-ci ne vient que soupoudrer, compléter, sublimer l'image, si elle n'est pas elle même l'objet de l'attention de la réalisatrice; l'unité de la mère et du fils dans les affres du désespoir et du deuil, figurant un possible retour des jours radieux, semblant pourtant battre de l'aile est ainsi magnifiquement illustrée dans cette scène de jeu à deux d'un prélude de Chopin autour d'un piano également devenu le marqueur temporel du déroulement du procès, le témoin d'une chute sans fin.


Vient alors le temps de la victoire, du triomphe douloureux, celui qui ne dissipe pas totalement le doute jeté sur le personnage de la mère, celui qui laisse enfin seule une famille mutilée face à son drame, ses drames, plaies purulentes laissées ouvertes aux bordures déchirées par la procédure, la folie administrative de Thémis mais face auxquels la communion physique des êtres semble encore capable de témoigner de leur lien, de leur unité, de leur amour résistant dans le silence sacré d'un baiser, d'une étreinte.


8/10 pour la beauté, la véracité des sentiments.

Big-Brother
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le 1 sept. 2023

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