Le visionnage de ce film fut un peu particulier, pas juste parce qu'il s'agit d'une Palme d'Or, mais parce que j'ai eu l'occasion de lire le script durant sa préproduction en juillet 2021. Je savais donc partiellement à quoi m'attendre : je savais que le récit était très bien ficelé avec des dialogues extrêmement bien écrits. Mais sans la mise en scène de Justine Triet et les performances des acteurs, je ne pouvais pas savoir quelle serait la véritable intention de réalisation de la créatrice et donc quel sens elle donnerait à cette histoire.

Autant dit que j'ai été bluffé. Triet a choisi une mise en scène extrêmement sobre et non-paradoxalement très lourde de sens. Les longues scènes de procès tiennent en haleine grâce au jeu hallucinant des comédiens, à la beauté de la langue, mais aussi des cadrages symbolisant les rapports de pouvoir fluctuant au fur et à mesure des discours. Ça marche extrêmement bien alors que ça aurait très vite pu être lourd à regarder.

Justine Triet et Arthur Harari font plus que raconter un procès puisque derrière ces longs monologues se révèle une réflexion sur le discours et le système juridique. Tous les mots sont ici déformés et tronqués dans un interminable examen critique qui semble atteindre l'absurdité. La vérité ne paraît même plus être centrale puisque Sandra apparaîtra coupable ou non en fonction du camp qui aura combattu le mieux rhétoriquement. Se révèle alors le stade postmoderne du langage, où celui-ci est tellement analysé et tordu dans tous les sens qu'il nous trahit et qu'il empêche d'énoncer le vrai. Et en pleine ère de la post-vérité, cela transforme Anatomie d'une chute en film extraordinairement politique.

MarxLeCyberpunk
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le 6 sept. 2023

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