Anatomie d'une chute par Teknograde

Biais important à prendre en compte : ce film est palmé d’or à Cannes 2023. Cela peut être en sa faveur, puisque je vais forcément y chercher un chef d’œuvre, mais je crois plutôt qu’il s’agit surtout d’un argument commercial, mais d’un handicap critique, puisqu’on en attend forcément un grand film. Et c’est ce qui justifie ce 9/10 à mes yeux : de grandes attentes, remplies, et surpassées.

Anatomie d’une chute est un film accablant, dans un sens littéral : c’est comme si le monde entier, non seulement l’avocat de la défense, mais aussi le reste de la cour, les médias, l’enfant de la famille et le mari défunt, avait tous ensemble décidé que cette femme serai coupable. Ce qu’elle est peut être, d’ailleurs, mais là n’est pas la question que pose le film. La question que pose le film est bien plus intéressante : pourquoi serai-elle coupable ? Et la réponse est difficile à entendre, parce qu’elle est complexe, trouble, contradictoire, ce qui fait tout l’intérêt de ce récit.

Le film est parfois difficilement soutenable, tant ses effets de cinéma sont efficaces : le traitement du son en particulier. L’usage d’une instrumentale de 50cent, notamment, qui nous assourdit dans la première scène, et qui teinte la musique de quelque chose de cauchemardesque, d’autant plus lorsque celle-ci revient plus tard dans le film. Justine Triet propose quelque chose qui paraît banal mais qui se trouve être radical : un véritable trauma cinématographique. Le son se retrouvera au cœur du dispositif à d’autres moments, comme dans la langue parlé par la mère au tribunal, qui sonne faux dans ses intonation puisque ce n’est pas sa langue natale, instaurant le doute sur sa culpabilité, l’enregistrement d’une dispute violente dont on n’a fatalement que le son, et qui en devient insoutenable à entendre, ou le son de la voix d’un enfant doublant le souvenir de son père, lorsqu’il retransmet ses paroles, pleines de sens.

J’ai aussi vu dans ce film certaines des meilleurs performances d’acteurs de l’année, celle de Milo Machado Graner en premier lieu, car c’est celle qui m’a le plus marqué, un gamin impressionnant de justesse, son chien, car on note trop peut souvent les performances des animaux à l’écran et que j’ai eu l’espace de quelques instants, peur pour le vrai chien du tournage et plus celui de l’histoire, et Sandra Hüller, que je connaissais pas et qui traverse tout le film avec une ambiguité terrible et parfois dure à soutenir.

La réalisatrice n’attend pas de vous que vous preniez parti, mais que vous soyez actif, devant son film, et c’est pour cela qu’elle tord le film de procès, d’une manière qui se trouve être au final, assez réaliste : n’attendez pas une réponse claire, n’attendez pas de justice, car dans la vie, on n’a pas toujours la réponse aux pires questions, et c’est à nous de trancher, de décider non pas ce que l’on va croire, mais ce qui va devenir vrai.