Perdre au jeu
La première partie du film me paraît assez extraordinaire. Une balle qui tombe d'un escalier, un chien qui descend pour la ramasser. Un entretien audio entre une écrivaine et une jeune thésarde...
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le 31 août 2023
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Nooooon pas comme ça Zinédine, pas après tout ce que tu as fait ! La déception était impossible alors que j’avais particulièrement apprécié tous les films précédents de Justine Triet et que celui-ci avait été doté de la Palme d’Or, prix que je respecte personnellement un minimum et pourtant tous les pronostics ont été défiés : j’ai d’énormes reproches à faire à cette Anatomie d’une chute !
Justine Triet est donc sortie de sa “zone de confort” pour ce film ou en tout cas à mon goût elle n’a jamais fait un film aussi “réaliste”, aussi grave, dramatique et premier degré. Une sorte d’absurde, de bizarrerie et d'inconfort général est vraiment ce qui caractérisait son cinéma à mes yeux, ce qui m’avait justement pas mal décontenancé à la découverte de ses derniers films, et même La Bataille de Solférino gardait cette vibe vu comme Macaigne et même sa copine étaient un peu tarés… Et je n’apprécie guère le revirement de ton qui opère ici, l’absurde est évacué de l’équation (à part le fait qu’une version instrumentale trop forte de 50 cent soit au cœur de la suspicion de meurtre) et pondre un film plus “classique” ne fonctionne pas à cause de plusieurs défauts.
Tout d’abord oui le film met des thèmes profonds (et chers à la réalisatrice) sur le tapis : le rapport entre la fiction et le réel, l’idéal foireux du couple, les femmes sous pression, le poids de la culpabilité, la question de la sexualité, mais il me semble que dans ces pourtant 2h30 de film tout n’est que survolé, mentionné et que le résultat final est assez superficiel. Aucune réflexion profonde ne peut émerger premièrement car la forme est assez classique, c’est un film de procès qui vise à mettre au clair une situation, et deuxièmement le film est assez peu bavard et se dote d’une grande quantité de séquences sensorielles, musicales ou laissant la part belle au jeu des acteurs. En top je note d’ailleurs Sandra Hüller qui livre une performance très complète en plus d’être multilingue ainsi que le Chien (premier crédité à la fin d’ailleurs) qui joue mieux sa scène d’étouffement que le gosse qui délivre sa version éco+ du final de Fire Walk With Me lors de la sortie de procès. Et le choix de ces scènes ne me paraît pas incroyablement fort ou pertinent, d’autant qu’elles sont complimentées par une mise en scène qui oscille entre le correct et le un minimum malin, par exemple la scène où Daniel est malmené par les intervenants du procès et que la caméra fait du yoyo gauche-droite. Le choix des instants présentés au spectateur me paraît si arbitraire (et je vais y revenir en dessous c’est un point important) que pour moi il n’y a pas la moindre “grande scène”, pas le moindre “grand moment” marquant qui restera dans les annales de mes souvenirs alors que Triet a pondu tellement plus fort par le passé. La fin dans la mêlée de Solférino ou même juste la scène de sexe d’Efira dans Sibyl sont 100 fois plus marquants que l’intégralité de ce film à mes yeux. Dire que j’ai vu des gens sur Internet sortir el famoso phrase galvaudée qu’on ressort pas mal en ce moment “Il n’y a pas une scène en trop”, mais la question c’est quelle scène on retiendra d’Anatomie d’une chute ? Quand le plus marquant me semble être quelques plongées dans la neige en début de film…
Et j’en arrive au point qui m’a le plus dérangé, un trope qui revient assez souvent en plus et que j'appellerai la “rétention artificielle d’information”, phénomène que je déteste au plus haut point ! Dans les films d’enquête, la question du point de vue est essentielle pour coordonner la quantité d’information qu’on accepte de donner au spectateur, car sinon on se trouve comme dans Columbo à voir le crime présenté sous nos yeux dès le départ. Ici l’information est distillée au compte goutte, de manière arbitraire et le spectateur n’aura connaissance de tous les éléments que quand le scénario l’aura décidé et vraiment ça m’irrite. Dans Anatomie d’un meurtre pour le coup, il y avait également moult rebondissements et révélations sur l’affaire, mais c’était car ces éléments étaient dissimulés à James Stewart, avocat que l’on suivait pendant le film. Pareil pour le twist final de Seven, au final le spectateur comprendra ce qu’il y a dans la boîte en même temps que Brad Pitt. Dans Anatomie d’une chute le point de vue est beaucoup trop omniscient pour que je prenne mon pied et que je me sente investi, c’est trop aléatoire, tantôt on prend le parti du fils Daniel, tantôt de l’avocat, tantôt on a des informations de l’enquête sur Sandra mais je ne ressens tellement pas le déroulé comme naturel et agréable. Alors c’est peut être mon passif de joueur de jeu vidéo qui me fait ça, j’ai besoin d’un personnage “vaisseau” pour faire interface entre moi et une œuvre.
Mais j’ai quand même l’impression que le film a de grosses lacunes, de gros manques pour être profondément marquant. On va même jusqu’à éviter de s’étendre sur l’accident de Daniel alors que c’est quasiment le point central de l’intrigue, on aurait également pu beaucoup plus s’appesantir sur l’impact qu’à le procès sur les personnages (c’est évidemment montré mais si courtement, plus de scènes comme Daniel qui annonce à Sandra qu’il veut être seul durant le weekend). Car le principal manque pour moi c’est de ne pas en savoir assez sur les personnages, ce qu’ils ressentent, du début à la fin on ne voit jamais assez clair dans leur jeu et on ne brosse qu’un portrait infiniment partiel de ce qui s’est passé dans un film qui se revendique comme une anatomie (où on est donc censé ne pas rater le moindre organe génital). Ça m'avait titillé dans Sibyl et Victoria, je trouvais les personnages étrangement traités mais ça allait parfaitement avec l’atmosphère globale du film qui était du même acabit (absurde, inconfortable). Mais ici dans une histoire à ce point psychologique, à ce point centré sur l’analyse, sur l’autopsie pour en revenir à la traduction française de Preminger, sur la déconstruction d’une mort, donc d’une vie, donc d’un couple, on reste beaucoup trop extérieur et donc beaucoup trop lacunaire sur le ressenti des personnages et c’est un crève-coeur !
J’apprécie quand même à nouveau le caractère un peu anticlimactique de la fin, on ne sait pas vraiment à quoi s’en tenir, on s’en sort sans grosse satisfaction, sans accomplissement… J’ai également été extrêmement amusé de voir que j’étais l’unique homme seul de toute la séance, il n’y avait littéralement que des femmes et 2 ou 3 couples (de plus de 50 ans d’ailleurs), c’est rare que je sois frappé par un tel phénomène démographique dans ma salle de cinéma, est-ce dû au fait que le film ait été médiatisé comme mené par une réalisatrice ?
On ne peut pas dire qu’Anatomie d’une chute est un film raté, mais pour être honnête je ne vois malheureusement pas ce qu’il a de réussi. C’est un film France 2 très bien joué (pourquoi tant de condescendance de ma part ?). Disons que c’est un film de procès dans les codes mais qui ne m’a marqué à aucun niveau, il porte encore la patte de sa réalisatrice mais de manière tellement moins satisfaisante qu’à l’accoutumée ? Pour moi, dirigez vous plutôt vers les autres films de Justine Triet, réalisatrice infiniment compétente qui méritait amplement un prix ! (mais peut-être pas pour ça…)
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Créée
le 6 sept. 2023
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