Perdre au jeu
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Le grand saut du haut des combles en grand final du destin d’un homme, esthétique macabre du contraste des couleurs, sang sur neige, au pied d’un chalet de montagne dans le décor idyllique de l’arc alpin grenoblois. Et va s’enchaîner le film de genre, scènes de prétoire plus qu’enquête policière pour résoudre l’énigme et trancher le poncif littéraire et cinématographique, crime ou suicide, en essayant d’éclairer la partie sombre de l’être.
Il ne s’agit pas en effet pour la réalisatrice Justine TRIET de rejouer, ou si peu, le grand air des batailles d’experts autour d’indices matériels, type séries télé, mais bien plutôt de plonger dans les mystères et profondeurs de l’âme humaine, dans l’écheveau des relations complexes d’un couple avec enfant - malvoyant suite à un accident - qui s’est à mesure délité et dont il faut reconstituer le parcours de vie pour expliquer le geste fatal, pulsion de mort suicidaire ou assassinat.
Avec pour nous guider dans ce labyrinthe, une présidente de tribunal falote, un avocat général s’imposant en grand inquisiteur, procureur-acteur sans empathie ni effets de manches, à l’opposé d’un avocat tout en nuances, sur la défensive pour la défense d’une accusée qu’il a jadis aimée et qui l’émeut encore ; elle, toute en rigueur, retenue et concentration, vulnérable, digne dans la tourmente kafkaïenne du procès, le sien, d’origine allemande s’exprimant en anglais, butant sur la barrière d’un français dont elle ne parvient pas à maîtriser totalement les nuances. Jouant là sa vie, une vie derrière les barreaux, et elle le sait.
C’est elle qu’au fil des audiences on va d’une manière impudique mettre à nu, son amour, ses amours bisexuelles, son métier d’écrivaine, ses disputes avec son mari ; lui bouffi du remords de l’accident du fils, courant après l’inspiration de l’écriture, enregistrant tout, dont la grande scène de ménage (qu’il a volontairement provoquée pour en tirer pour lui-même la substance d’un roman, se rêvant lui aussi écrivain ?) qui explose en pleine audience pour faire basculer les jurés dans leur intime conviction.
Et l’enfant enfin, malvoyant clairvoyant, l’une des clés du film, qui doute et illumine le film de sa pureté, plus mature et adulte que ce monde d’adultes assignés à leur rôle de personnages dans le huis-clos du prétoire, menant sa propre enquête, fouillant lui aussi dans sa propre mémoire, demandant à être appelé à la barre pour ressusciter ses propres souvenirs sur un père aimé et disparu, aider le tribunal à trancher, pour innocenter ou non sa mère dans ces grands moments de désarroi et de solitude où il est enfermé, où on l’a enfermé.
Un film de près de deux heures, prenant certes, mais qui ne renouvelle pas le genre et vaut essentiellement par ses interprètes, en particulier Milo Machado-Graner dans le rôle de l’enfant malvoyant, Swann Arlaud tout en délicatesse et sollicitude dans son rôle d’avocat et surtout Sandra Hüller en accusée pleine de dignité. Récompensé en mai 2023 par une Palme d’or à Cannes que nous aurions plutôt vu attribuée à La Zone d’intérêt, à notre sens beaucoup plus dérangeant et novateur.
Créée
le 1 févr. 2024
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