Bien inspiré, le petit ciné du coin. Alors que le film a raflé à peu près tout ce qu’il pouvait gagner en prix, voilà qu’il est programmé dans la salle d’à côté. Comme je l’avais raté à sa sortie, c’est l’occasion. La salle était en fait pleine comme un œuf.


Sandra Voyter est écrivaine. Son mari aussi, ou en tout cas il aimerait l’être. Ils vivent avec leur fils de 11 ans, malvoyant depuis un accident. Un jour, le mari est retrouvé mort et Sandra Voyter est mise en examen. Plus tard, le procès sera l’occasion d’un grand déballage.


Le film s’ouvre sur une conversation entre une étudiante et Sandra, au domicile du couple. La tension est palpable et l’atmosphère est désagréable. Cette impression ne nous lâchera pas vraiment pendant les 2h30 du film. Au fond, les 50 premières minutes servent de contextualisation à la suite, le procès. Car c’est quand celui-ci s’ouvre que le film déploie ses ailes. On pourra gloser pendant longtemps autour du rôle de la justice, de la scène de théâtre du palais de justice, des numéros d’acteurs déclinant une forme écrite d’avance et un cahier des charges strict. Il ne manque que le nom de l’auteur, celui qui écrit le récit. En l’occurrence, l’auteur est présent, sur le banc des accusés, mais pas que. Il, et parfois elle, va raconter l’intrigue qui se joue et tenter de convaincre de la véracité de son récit. Ou peut-être de la crédibilité de celui-ci. Charge au spectateur d’y croire ou non. Et chacun, conteur d’un jour, racontera sa vérité. Il y a donc autant de vérités que de conteurs et en l’absence de narrateur omniscient, ce sont autant de vérités alternatives, plausibles, éventuelles. Chacun invente et réinvente les personnages en fonction du besoin du récit qu’il développe. Sur cette scène de théâtre, ce sont donc plusieurs histoires qui se racontent en même temps. Comme si chaque acteur jouait sa propre pièce dont il serait l’auteur. Quant à la vérité, c’est une question de décision fini-t-on par lâcher. Chacun décidera de la trajectoire et du passé de ses personnages. On l’aura compris, c’est ici à une dissection de l’acte narratif que l’on assiste et le film lui-même joue au même jeu avec ses propres spectateurs, alternant les points de vue à la mise en scène, jouant parfois l’effet Rashomon.

L’autre sujet, c’est celui du couple qui se pète la gueule, du quotidien toxique qu’on ne perçoit pas de l’extérieur et des histoires qu’on se raconte (encore). J’avoue être moins intéressé par cette dimension du film. Si les scènes restent fortes, elles sont bien moins vertigineuses. Par ailleurs, les personnages sont tous antipathiques, désagréables, à l’exception du môme de la garante de la sécurité de son témoignage. Ce rejet que suscitent les personnages empêchera pour ma part toute émotion et jamais je ne me suis senti impliqué dans l’histoire. Peut-être est-ce voulu et le titre clinique pourrait le suggérer. On pourra également trouver le film un peut long. Pas chiant du tout, mais long. Et on saluera la prestation de chaque interprète.


Ainsi, je ne me retrouve pas dans ce concert de dithyrambes auquel on assiste depuis Cannes 2023. Anatomie d’une chute est avant tout un exercice intellectuel exigeant mais à trop théoriser son propos, il en oublie parfois son spectateur. On applaudira une réflexion profonde sur le rôle et les dimensions du récit et du conteur mais on regrettera de ne pas être invité franchement sur la scène.


>>> La scène qu’on retiendra ? Aucune en particulier. Constant et assez austère, le film ne propose ni climax, ni clin d’œil.

Konika0
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le 29 févr. 2024

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