Angle mort
6.4
Angle mort

Film de Nabil Ben Yadir (2017)

Angle mort: est-ce ainsi que les hommes… plient?

Avec Angle Mort (Dode Hoek dans sa version… originale, car oui le réalisateur des Barons va voir de l’autre côté de la frontière linguistique), Nabil Ben Yadir surprend une nouvelle fois son monde et le prend à contre-pied. C’est sûr, on n’attendait pas le réalisateur bruxellois de La Marche (injustement brocardé par une armée de racistes sans vergogne en 2013) dans ce registre. Dans les traces d’Olivier Marchal mais dans un style qui lui est propre, le réalisateur livre un polar explosif et assumé qui, d’Anvers à Charleroi, n’a pas peur de tout détruire sur son passage.


C’est le moment, c’est l’instant, le grand plongeon. Légende de la brigade des stups admirée et respectée autant que craint, le commissaire Jan Verbeek (Peter Van Den Begin, vu récemment dans King of the Belgians) prend une retraite très anticipée pour se consacrer à la politique. Une démission qui va de pair avec la sortie d’un livre à la couverture jaune et noire (ça vous rappelle les couleurs d’un parti très populaire en Flandre?) laissant peu de doute à la nature de son nouvel engagement. Jan fait en effet figure de nouvel espoir de conquête électorale pour son nouveau mentor à la poigne de fer (Jan Decleir, aussi glaçant que sympathique) et le VPV, parti d’extrême-droite. M. Tolérance zéro serait-il un peu raciste sur les bords ?


Pas du tout, regardez son coéquipier Dries (épatant Soufiane Chilah, l’une des révélations de l’extraordinaire Black, ici dans un fameux rôle synthétisant la radicalisation à l’envers). Dries, remarquez pas Driss, plus Driss. Et, en attendant de prendre ses fonctions de réel trublion qui n’a pas sa langue ne poche, le commissaire pour quelques heures encore reçoit un beau cadeau de la part de son équipe : un baron de la drogue bien belge à aller repêcher du côté de Charleroi. N’écoutant que son courage (et sa soif de gloire et de suprématie, aussi), Jan va se lancer dans la gueule du loup.


Spectaculaire et léché dans sa mise en scène, dès les premières minutes, Nabil Ben Yadir aime à tourner autour du pot et de son personnage. Un personnage honni. « Horrible et dur, quelqu’un que je serais le dernier à vouloir rencontrer », explique le réalisateur en interview. Et, de fait, c’est par le jeu des miroirs et en filmant son « héros » de dos que Nabil nous introduit dans les coulisses de l’émission qui va tout changer. La stature et le charisme de Peter Van Den Begin font déjà leur oeuvre et on se surprend à se dire qu’on a trouvé le Liam Neeson belge (« Certains ont visé son coeur, ils ne se doutaient pas que Jan Verbeek n’a pas de coeur« ).


Pourtant loin du manichéisme des machines hollywoodiennes, Angle mort ne manque sûrement pas de fond, fruit d’une époque trouble où les médias font le jeu d’une politique populiste qui se cherche toujours des héros aux dérapages maîtrisés et où Youtube est désormais plus fort que la télé. Ainsi soit-il de ce Jan Verbeek dont le fort sentiment de la Flandre (et de la police trop souvent mouillé par la presse au détriment du travail accompli, trouve-t-il) risque de faire des émules. Et pas forcément parmi les Wallons, que le futur-ex-commissaire considère comme des demis hommes. Raison de plus pour ne pas les prévenir alors que, de nuit, un véritable commando anversois se prépare à envahir l’entrepôt désaffecté qui servirait de labo clandestin.


Pris dans une machination fomentée par un obscur informateur (David Murgia), la descente aux enfers s’éternisera bien plus loin que l’aurore et la remise de ses insignes. Action à gogo et dénouement bien incertain de mise. Pourtant, si on parlait de Black, c’est dans un registre tout à fait différent que Nabil Ben Yadir pose sa caméra. Pas question de mettre le spectateur en immersion sous une violence gargantuesque, mais plutôt de l’inviter comme témoin, dans la rue d’en face ou dont la visibilité est réduite par un coffre. On sent les coups mais on ne les voit pas. Comme si le réalisateur était gêné et cherchait une échappatoire, une ellipse entre la confrontation et les stigmates.


C’est burné et ça fonctionne étonnamment bien. La réalisation est imparable, la photographie impeccable. Mais cela ne masque malheureusement pas de grosses ficelles frôlant l’incohérence: une voiture broyée par un camion dont le héros ni bon ni mauvais sort quasi-indemne; une bombe qui, non contente d’atomiser un bâtiment, en ébranle un autre des centaines de mètres plus loin sans pour autant toucher les autres maisons… C’est dommage, d’autant plus que Nabil avait réussi à nous donner envie d’y croire avec une galerie de personnages folle (mention spéciale au producteur Vincent Tavier en mafieux carolo délicieux) et avec cette histoire d’anti-rédemption du héros-méchant qui s’est trompé d’ennemi et se voit être poursuivi par les truands et par son ancien service. Reste un film qui galvanise tout le savoir-faire belge (et flamand, surtout) autour d’un film de genre fort en testostérone et en jeux de pouvoirs. Affolant et néanmoins conscient.

Alexis_Seny
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le 25 janv. 2017

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