Animale
6.2
Animale

Film de Emma Benestan (2024)

J'aimerais écrire quelques mots au vol sur ce film que j'ai vu hier soir et au sujet duquel je m'étonne qu'on en ait pas plus parlé.

Dans une année où The Substance a monopolisé l'attention côté body-horror à la française (même si le film est de langue anglo-américaine), il est en effet curieux que ce deuxième long-métrage d'Emma Benestan, passée par la Femis et dont le premier long avait offert un de ses premiers rôles à Raphaël Quenard, avant la révélation Chien de la casse, dont elle est par ailleurs... scénariste, soit à ce point boudé des critiques, qui n'en disent pas spécialement de mal, mais qui n'en parlent pas du tout en fait.


Certes, le scénario est sans doute le point faible ici, car les intentions sont un peu trop évidentes et le déroulé relativement programmatique pour quiconque a déjà vu un film de body-horror qui passe par la métamorphose de son personnage principal en une créature monstrueuse et violente. On aurait aimé un peu plus de subtilité, de trouble, de doute plutôt que le côté assez littéral de la chose, qui s'éloigne du sujet mythologique pourtant évident (le taureau est l'animal sacré et sacrificiel par excellence de la culture méditerranéenne) pour une approche folklorique et fantastique plus classique (translation de la lycanthropie vers la tauromorphie, avec la création de cette femme-taureau ou minotaurette amorcée assez vite et confirmée par le grand finale du film). Néanmoins, le cadre même du récit (la Camargue) permet aussi une approche plus sociologique très intéressante et d'une belle acuité pour quiconque a ses racines dans le sud-est (les décors, les accents, les façons de parler ou de se comporter sont d'une justesse remarquables, tout comme elles l'étaient dans Chien de la casse : Benastan est sans nul doute "une fille de la région" et cette authenticité est une vraie force pour le récit et pour ses personnages), ainsi qu'une esthétique proche du western à la française qui sied à merveille cette histoire.


On touche là au plus bel atout de ce film : sa forme. La photographie, signée du belge Ruben Impens, qui a signé la lumière de, entre autres, la Merditude des choses, Alabama Monroe et surtout des deux films de... Julia Ducournau (tiens tiens), est un bijou flamboyant qui fait mouche aussi bien pour les scènes de jour qui subliment les paysages camarguais, les robes blanches des chevaux ou les scènes de course camarguaise (la tauromachie locale qui ne consiste pas à blesser ou mettre à mort le taureau mais à récupérer à l'aide d'un raset différents attributs décoratifs placés sur les cornes de l'animal) que pour les scènes de nuit qui composent des tableaux d'une beauté sidérante où les marais se muent en landes embrumées dignes du Chien des Baskerville et de la littérature gothique, éclairées par une lune blafarde. J'aime un peu moins l'abus parfois de ralentis stylisés et les quelques plans en vision subjective, un peu facile, mais c'est du détail.


Ce qui m'a vraiment intéressé dans Animale, c'est le sujet de fonds qu'on peut soit deviner très vite (mais cela n'enlève rien à la suite, bien au contraire), soit comprendre avec une scène un peu plus explicative qui arrive vers la fin du récit, et qui ajoute aux éléments précédents une couche de rape and revenge sans concessions : le viol en réunion est déplacé un temps par ellipse et translation sur le doute d'un accouplement avec "la Bête" ou le taureau, qui justifierait la métamorphose latente ou fantasmée de l'héroïne en créature mi humaine, mi taurine assoiffée de vengeance. Tant que le film entretient le doute et le trouble sur la réalité de cette métamorphose, il est passionnant. Mais à la fin il opère un choix plus littéral qui fait certes gagner en force symbolique et visuelle, mais perdre en subtilité au récit. La beauté des images étant ici ce qui prime selon moi.

L'actrice (Oulaya Amamra) et l'ensemble du casting sont de ce point de vue très convaincants dans des rôles particulièrement physiques et éprouvants. Une belle addition au tout étant le personnage de Tony (très bon Damien Rebattel), jeune homosexuel dans le placard au milieu de milieu viriliste très macho (le film montre mais questionne peu cette dimension volontiers homo-érotiques lors de deux scènes de vestiaires notamment), dont l'enjeu dramatique habituel du coming-out est complètement désamorcé par la bienveillance et l'humanité de son entourage, chose rare et à signaler. C'est d'ailleurs le seul personnage masculin du film qui ne soit pas montré comme une menace directe pour Nedjma.

Et enfin, chose presque d'utilité publique dans le contexte actuel, le film est intransigeant sur le sort à réserver aux violeurs, et c'est aussi ça le female gaze et le féminisme au cinéma.

Dans le genre donc, un film très réussi et prometteur malgré quelques facilités dans la narration et deux ou trois tics de mise en scène. À suivre de près.

Krokodebil
8
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le 18 déc. 2024

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