Il n’est pas rare que les jeunes réalisateurs et réalisatrices en herbe, avant de se voir confier un budget conséquent de premier long métrage, doivent prouver leur talent avec un court métrage. On peut par exemple penser à Whiphash de Damien Chazelle, qui a été un court métrage en 2013 (déjà avec J.K. Simmons jouant le prof sadique) avant de sortir en long fin 2014 ; à The Climb de Michael Angelo Covino, également en version court métrage de 8 minutes avant d’être proposé en long métrage ; ou encore à Madre de Rodrigo Sorogoyen (bien que ce ne soit pas son premier film) dont la version court métrage – et qui correspond à la séquence d’ouverture en plan séquence du début du long – avait été nommée aux Oscars en 2019.
Sofia Alaoui avait de son côté rencontré en 2020 un énorme succès avec son court métrage Qu’importe si les bêtes meurent, qui avait remporté le Grand Prix court métrage au festival de Sundance, avant de recevoir le César du meilleur court 2021. J’avais adoré ce film fantastique se passant dans les hautes montagnes de l’Atlas, où un berger était confronté à des phénomènes étranges.
Pour son long métrage Animalia, Sofia Alaoui reprend tous les thèmes de son court métrage, pour les développer en long. Abdellah le berger des cimes est remplacé par Itto, jeune marocaine d’origine modeste qui s’est mariée à un fils de la haute bourgeoisie et qui a du mal – en raison de la différence de classe sociale – à se faire accepter par sa belle-famille. Itto est enceinte jusqu’au cou et se sent très seule, au milieu de l’immense palais de son homme. Les phénomènes surnaturels (que ce soit auprès des bêtes ou climatiques) sont exactement les mêmes que dans Qu’importe si les bêtes meurent. La religion et les croyances, comme dans le court métrage, jouent également un rôle de premier ordre dans le film.
Si la part fantastique est autant présente dans le court que dans le long, seul Animalia développe vraiment la thématique de la spiritualité et de l’existentialisme. C’est d’ailleurs là où le film a eu tendance à me perdre : le récit s’écarte progressivement des événements fantastiques pour se centrer – se perdre devrais-je dire – dans des références oniriques pas toujours bien amenées.
Il y a un peu de Terrence Malick dans Animalia. Il y a aussi un peu de Melancholia de Lars Van Trier dans tout le côté surnaturel. Et puis il y a quelques tentatives formelles surprenantes – mais pas forcément bienvenues – notamment l’utilisation de ces images floues et saccadées dont raffole Wong Kar-Wai.
Animalia est un premier film qui fourmille d’idées et qui assume son côté expérimentation. Peut-être que la réalisatrice a cherché à traiter trop de thématiques d’un coup, mais après avoir bien accroché au premier tiers du film, j’ai eu l’impression de me perdre dans les méandres d’un scénario qui s’éparpille sans réellement donner les clés de lecture au spectateur. C’était cependant l’effet voulu par la réalisatrice, qui ne voulait pas apporter de réponses concrètes aux aspects surnaturels du film.
Après le visionnage, restent de splendides paysages maghrébins (Sofia Alaoui est originaire du Maroc), un rythme doux et contemplatif presque lancinant, et une merveilleuse interprétation de la part de Oumaïma Barid – qui joue Itto – et dont c’est seulement la deuxième apparition au cinéma. La jeune fille semble à la fois fragile d’apparence, mais dégage une belle force mentale.
Animalia est une œuvre hybride, qui invite à la contemplation mais s’embourbe dans les questionnements métaphysiques. Malheureusement, le film n’a pas su trouver son public, réalisant lors de sa sortie en août 2023 un score très faible à moins de 10 000 entrées.