Le rare Leos Carax dans notre époque complètement sur-numérisée, cela donne quoi ? Ben, qu'est-ce qu'un réalisateur ne reculant devant aucun excès peut faire du numérique ? Ben, en user et en abuser pour se laisser aller à toutes les fulgurances visuelles. Et ce que l'on ne pourra jamais enlever à ce cinéaste, c'est le fait de savoir en foutre plein les yeux.
Bon, OK, pour la forme. Mais pour le fond, ça parle de quoi Annette ?
Ben, c'est une espèce de conte musical (forcément cruel, car tous les contes le sont ; et Adam Driver figure bien l'ogre !), où tout le monde chante sur tout, qui assume son extravagance, son grotesque dès le début en soulignant bien le côté fictif de l'art cinéma, avec Leos Carax himself pour lancer le truc, et à la fin... oui, ne vous tirez pas avant que le générique soit terminé. Une sorte de mise en abyme qui donne l'impression de s'adresser directement à nous, spectateurs, au début et à la fin donc.
Et pour les thématiques, entre les deux, c'est un véritable brassage baroque (le fond joignant totalement la forme par ce biais !). Notre époque sur-numérisée, de plus en plus facilement offensée, où l'idole d'hier peut être le détesté de demain à la vitesse telG par le public, cette hydre aux milliards de têtes. Le poids de la célébrité sur l'individu, sur le couple. Les fantômes du passé auxquels on ne peut pas échapper. Ce que peut avoir de toxique le comportement d'un parent envers son enfant, marionnette se laissant manipuler tel un pantin de bois façon Pinocchio (au sens propre comme au figuré !).
Ah oui, comme il l'avait déjà montré auparavant dans Mauvais Sang et Pola X, le metteur en scène kiffe les plans à moto. Vous kiffez les plans à moto, vous allez adorer.
Mais tout cela résumé ainsi pourrait faire croire à un fourre-tout vain. Pour moi, ceci n'aurait pas été étonnant étant donné que Carax a eu la mauvaise habitude par le passé de croire qu'une accumulation de fulgurances visuelles suffit à faire un récit un tant soit peu cohérent. Rassurez-vous, ici, ce n'est pas le cas. Il y a une ligne directrice de scénario claire. L'intrigue est facile à comprendre et à raconter. En fait, c'est dire comment c'est narré qui est difficile à exprimer. Disons qu'il n'y a aucune outrance devant laquelle l'ensemble recule, d'autant plus que le numérique est là pour appuyer sur cet aspect des choses et l'assister.
Avec Annette, Leos Carax fait comprendre que le cinéma doit donner lieu à une expérience surprenante et faire réfléchir, pousser à se demander "mais qu'est-ce que l'on vient de voir ?" ; en gros, le genre qu'on n'oublie pas un quart d'heure après. Vous pouvez aimer ou ne pas aimer, prendre le tout au sérieux ou au contraire à la rigolade, mais, au moins, vous y pensez forcément et vous avez envie d'en parler. Ce n'est pas rien. C'est même beaucoup.