Film bien plus riche que la présentation un peu standard qui en est fait dans la presse.
Le début expose de façon à la fois clinique et empathique le travail des entraineuses dans les boîtes de strip-tease, métier qu'exerce Ani. Aussi bien les espaces ouverts aux clients, et notamment une rangée de semi cabines où les filles se trémoussent sur l'entrejambe d'hommes affalés, que les coulisses et ce qui pourrait être une salle de repos. Appâter le client, le faire dépenser, le faire rêver et lui faire glisser des billets dans la ceinture du string, tel est le métier d'Ani. Ce n'est ni idéalisé ni glauque. Les filles vivent du désir des hommes, sont copines ou garces, et les rapports entre le propriétaire de la boîte et elles ne sont pas univoques.
La seconde partie fait débarquer Ivan, fils d'oligarque russe désœuvré, qui mène une vie dissipée avec une poignée d'amis. Il incarne une forme d'innocence naïve et égoïste, remarquablement bien filmée. Son visage pourrait figurer sur une fresque de la Renaissance - période riche en parvenus et fils de parvenus oisifs.... Ani et l’insouciant Ivan vont s'attacher l'un à l'autre et même se marier à Las Vegas.
Malheureusement, les parents d'Ivan vont l'apprendre, et sa mère, furieuse, va mobiliser leur relais local, un pope, qui était chargé de veiller sur lui. S'ouvre alors une séquence très différente de ce que la presse laisse penser. Deux sbires envoyés par le pope, qui les rejoindra rapidement, viennent mettre le holà à l'aventure. Mais les choses ne se passent pas comme espéré, et le trio, qui embarque Ani, se lance à la recherche du jeune marié, questionnant ses amis et explorant tous les lieux qu'il a l'habitude de fréquenter. Traque ou plutôt errance nocturne, parsemée d'embûches, menée dans le froid, qui finit par trouver Ivan, grâce à Ani.
Après une première tentative spectaculairement ratée de faire annuler le mariage à New York, les parents débarquent. La mère et sa nouvelle belle-fille s'affrontent à armes inégales, et cela va se conclure par l'annulation du mariage à Las Vegas.
La dernière partie va conclure un autre fil narratif que l'on a vu se développer au fil des péripéties, avec une scène qui mêle sexe, reconnaissance et libération de la tension qui s'est accumulée chez Ani.
Sur une trame assez simple et conventionnelle, le réalisateur évite à chaque moment la caricature, le cliché, le déjà vu. Le travail des entraîneuses est présenté sans voyeurisme, sans paillettes et sans mépris, et Ani ne cesse de rappeler qu'elle n'est pas une prostituée. De fait, quand elle va passer une semaine dans la maison d'Ivan, elle doit prendre un congé. Et même si elle négocie un cachet, elle se donne volontairement à ce jeune post-adolescent attachant à qui elle essaie d'apprendre à mieux faire l'amour. On s'attend à une course poursuite menée par des tueurs bêtes et méchants dans le style Fargo, on a une laborieuse recherche nocturne du disparu par des hommes ordinaires et bien peu familiers de la violence, dont on comprend que ce n'est pas la première fois qu'ils doivent remettre Ivan sur le droit chemin. Ivan ne fréquente pas d'autres fils d'oligarques et des jet-setters, mais des gens simples et sans histoires, qui l'aident à ne pas grandir. On s'attend à voir apparaître un oligarque brutal (les conversations téléphoniques du pope laissent cependant penser que c'est Madame qui porte la culotte), on a un couple soucieux de voir leur fils parti à l'étranger incapable de sortir d'une enfance trop choyée et furieux de l'atteinte à leur réputation.
Ce film est finalement une histoire ordinaire, à ras d'humanité. Cette histoire est plus spectaculaire par l'argent dont dispose Ivan ou plutôt ses parents, mais le fond reste très humain. Chaque personnage est respecté, aucun n'est grotesque. On est presque peu honteux de se souvenir qu'on s'attendait à une épopée sanglante et déjantée, style U Turn.
Les acteurs sont excellents. Mickey Madison est à juste titre célébrée dans la presse, mais Mark Eydelshteyn et Youri Borissov, deux acteurs russes réputés, sont remarquables, tout comme Karren Karagulian.
Cela valait-il une Palme d'Or face à la concurrence à Cannes? En tout cas, c'est un beau film qui laisse une forte impression longtemps après l'avoir vu.