Si vous voulez voir Anora parce qu'il y a marqué en gros "Palme d'or Festival de Cannes 2024" sur l'affiche ou parce que le dernier-né de Sean Baker est décrit comme une "histoire d'amour" censée être "hilarant[e]", vous risquez d'être grandement déçus et de vous sentir floués !
Dissipons tout malentendu dès le début, Anora n'est pas un mauvais film et on ne passe pas un mauvais moment en le regardant, mais je ne suis pas sorti de la séance en me disant que je venais de voir un film qui avait remporté la Palme d'or. Loin de là.
J'aurais pu me faire cette réflexion devant Emilia Perez, s'il avait remporté le prix tant convoité, car il concentre énormément de belles choses : de la photographie à la réalisation en passant par le nombre d'idées à la seconde et le propos, mais là, non.
Il ne se passe pas grand-chose durant les 20-30 premières minutes. Tout est très long, se répète, s'étire sans démontrer quoi que ce soit.
Il y a tout de même une couleur et il faut dire que Mikey Madison est magnétique. C'est bien pour ça qu'on reste et qu'on attend sagement une nouvelle cadence providentielle.
Puis, force est de constater qu'il ne se passe pas plus de choses que ça à mesure que le film progresse. On passe d'un chapitre à l'autre sans savoir où on va, les scènes de sexe (trop nombreuses et vides de sens) se superposent comme des couches de lasagne surgelé parce que pourquoi pas, et pendant le premier tiers du film, on voit apparaître une poignée de personnages secondaires qui n'apportent rien à l'ensemble.
Certes, la balade n'est pas désagréable pour autant, mais à aucun moment j'ai été impliqué dans ce scénario qui semble avancer en pilote automatique.
Au deuxième tiers du film, les choses bougent enfin. On ne sait toujours pas vers où, mais ça bouge. Tant mieux.
Anora se marie, OK, mais en sait-on plus sur elle ? A-t-elle des sentiments ? Se sentait-elle mal dans sa vie d'avant ? Est-elle un tant soit peu attachée à Ivan ou est-elle simplement intéressée ? Joue-t-elle sa survie ? Quels sont les enjeux derrière ce mariage ? On n'en saura jamais rien.
Le personnage d'Ivan (interprété par un Mark Eidelshtein volontairement insupportable ou insipide, c'est selon) est une coquille vide qui ne touchera et n'intéressera personne. Je ne comprends même pas qu'il apparaisse sur l'affiche officielle du film, lui que je considère tout juste comme un vague second rôle et pas du tout comme un co-rôle principal.
Ivan est écrit de manière grossière et insupportable, mais soit, tant que ça permet de mettre plus de lumière sur Ani, on prend.
Sauf que cette lumière ne nous apprend rien de nouveau. Gâchis.
Ani est un personnage rebelle, vif, spontané, débrouillard et grande gueule qui n'a peur de rien. Ça, c'est la façade que le film nous montre. Mais à aucun moment, pendant 2 heures, la plume de Sean Baker ne nous donne accès à la vraie Ani, et c'est là le plus gros défaut du film selon moi.
Cette femme qui porte le film mériterait d'être touchante même très subtilement. Elle mériterait d'avoir moins de "fuck" à délivrer dans son texte et plus de vraies punchlines, elle mériterait d'être plus fragile derrière ses grands airs et plus incisive lors des nombreuses confrontations qui se présentent à elle.
Même durant les scènes de sexe, Ani aurait pu être plus travaillée et complexe.
Et l'humour ! Où est son humour ? Ani mériterait d'être hilarante, justement !
Quel dommage de voir que cette Anora, pourtant présente à chaque plan, ne possède aucune phrase mémorable ou aucune action qui nous ferait bondir avec enthousiasme en s'exclamant : "Anora, c'est ça ! Anora, c'est elle ! Anora, c'est un peu moi !" Gâchis encore.
La (très) longue scène où Anora fait face aux hommes de main aurait pu être jouissive si son personnage était mieux écrit et s'il ne faisait pas que de se débattre en proférant des insultes ici et là. Dommage.
On sourit quand même, mais il manque un gros quelque chose pour faire de ce moment un grand moment du film. Un moment aussi électrique que jouissif.
S'ensuit tout un chapitre où le film se mue en une sorte de buddy/road movie, sous forme de quasi-huis-clos dans une voiture.
Là encore, on sourit parfois, mais ça manque cruellement d'une écriture plus franche et dynamique alors que tous les ingrédients sont réunis pour nous offrir des dialogues savoureux et mémorables. Gâchis toujours.
Et quand enfin on retrouve Ivan, c'est encore une petite déception.
Ivan reste la même coquille vide que lorsqu'on l'a découvert, et Ani, pourtant au pied du mur, ne nous livre rien de nouveau malgré la colère, la tristesse, l'incompréhension, le désespoir auxquels elle fait face.
Le film rate tous les coches qui nous auraient permis de nous sentir Ani ou au moins cheerleaders d'Ani.
On n'est pas en empathie car on ne sait pas ce qu'Ani perd : une situation, un train de vie, un semblant de stabilité, un sentiment amoureux (qu'elle nous aurait bien caché) ?
Le plus étonnant dans tout ça, c'est que le personnage le plus intriguant, le plus drôle et le mieux écrit est Igor, un personnage secondaire qui n'apparaît que relativement tard, mais qui volerait presque la vedette au rôle principal.
Igor l'homme de main. Igor le violent. Igor le taiseux. Igor le sensible. Igor aux "yeux de violeur". Igor le protecteur.
En peu de mots/gestes, on obtient d'Igor ce qu'on n'a pas su trouver chez Anora [et Ivan réunis]. C'est très fort. Il aurait fallu mettre toute cette subtilité au service des autres acteurs également, c'est exactement ce qu'on voulait.
C'est à la dernière scène que le film se révèle enfin. Et quelle dernière scène !
Cette scène m'a fait pardonner ces deux heures de gentille vacuité que j'ai subies.
Encore une fois, je ne savais pas où allait le film et ce qu'il essayait de me raconter, mais le trajet n'était pas insupportable, loin de là.
En une scène, j'ai su qui était Anora, j'ai compris en quoi elle était faillible, j'ai saisi sa jeunesse, ses maladresses, le regard qu'elle porte sur elle et sur autrui.
J'ai compris qu'elle pensait savoir mais qu'elle se berçait d'illusions, que toute sa vie, elle s'était bricolé une insouciance bancale avec le peu d'outils dont elle disposait et qu'elle pensait ainsi parvenir à tout gérer seule avec une légèreté feinte.
J'ai vu ce que la solitude réveillait en elle, ce que le silence pouvait lui faire dire, à quel point elle se sentait toute petite et combien elle était fatiguée de porter un costume trop lourd pour ses épaules qu'elle était terrifiée de découvrir aussi frêles.
Anora n'est pas une prouesse de réalisation ou d'écriture.
Anora souffre d'une communication mensongère et n'est absolument pas une histoire d'amour. A aucun moment. Non. Jamais.
Anora nous présente un casting solide, mais peine à convaincre quand il s'agit d'atteindre un certain degré de profondeur ou de défendre un propos, contrairement à des pépites comme Tatami, L'Histoire de Souleymane ou Les Graines du figuier sauvage, qui ont su mettre sur le même plan et placer très haut tous les éléments qui rendent un film marquant.
Anora peut donc être décevant à plusieurs égards et selon la sensibilité de chacun, mais cette dernière scène mérite d'être vue car elle, au moins, est digne d'une Palme d'or.