N'ayant vu que The Florida Project de Sean Baker peu après sa sortie, je ne l'associais pas forcément au sujet du travail du sexe comme moteur de son œuvre, puisque je n'avais vu que ce film-là qui se déroulait surtout du point de vue d'une gamine. Depuis qu'il a eu la Palme d'Or pour Anora, j'ai entendu et lu un peu partout que c'était un sujet qu'il traitait depuis un moment déjà et que prendre pour point de départ le quotidien d'une strip-teaseuse n'était pas étonnant de sa part.
De mon côté je trouve que le film est très haletant car il est divisé en plusieurs parties qui s'assemblent très bien alors qu'elles ont toutes un rythme très différent. Au début tout va vite, on nous présente le personnage d'Anora et on la fait rapidement rencontrer Ivan. Il a l'air très riche et ils vont vite se marier, mais les parents d'Ivan veulent faire annuler le mariage.
C'est à ce moment-là pour moi que le film sort des sentiers battus après une première partie aussi trash que mignonne (je sais que ces termes ne vont pas ensemble mais le petit couple est vraiment mignon à l'écran). Tout dérape mais Sean Baker n'en fait pas un cauchemar éveillé. Il rend ça drôle, fait durer ses séquences. C'est rare qu'après une première partie aussi soutenue on puisse se retrouver plusieurs fois avec des personnages qui attendent par exemple. Surtout que c'est pas toujours très captivant de filmer des gens en train d'attendre quelqu'un, d'attendre une réponse. Dans ce cas c'est d'ailleurs très drôle puisque le personnage d'Anora a une forte personnalité, donc elle n'est pas seulement sidérée comme bien des gens le seraient dans sa situation. Elle choisit plutôt de ne pas se laisser faire. Le film est alors de plus en plus mélancolique jusqu'à sa fin silencieuse.
C'est ce travail du rythme qui m'a le plus plu et évidemment les personnages en eux-mêmes. C'est Anora qui est au centre de tout évidemment, mais il y a aussi le personnage d'Igor qui a un bon fond et qui est aussi touchant que drôle. Il y a évidemment l'idée de mondes qui s'opposent entre les ultra-riches d'un côté et la jeune femme précaire qui se déshabille pour gagner sa vie qui marche bien aussi dans le film.
J'ai malgré tout deux réserves même si ce n'est pas non plus de gros points noirs.
La première concerne la représentation du sexe et des corps féminins. Étant un homme hétéro, on va être honnête 40 secondes, ce n'est pas le genre de choses qui me fait tiquer habituellement, même si évidemment en lisant sur le sujet on prête de plus en plus attention à ces aspects lorsqu'on découvre des films. Là j'ai senti un regard un peu complaisant, le gars se fait plaisir à filmer des fesses et des seins derrière la caméra (c'est bien son droit), même s'il ne va pas jusqu'à faire des gros plans ou zoomer sur ces parties du corps par exemple. On sent que la nudité est un spectacle pour Sean Baker, elle n'est pas filmée de façon froide ou mécanique comme ça peut être le cas chez d'autres réalisateurs dans le cas de travailleurs du sexe. J'y ai donc vu une certaine complaisance envers ce milieu pourtant loin d'être rose à laquelle je ne m'attendais pas. Enfin encore une fois c'est pas bien grave, mais je comprends qu'on puisse questionner la pertinence de ce choix de mise en scène. D'ailleurs ça m'échappe toujours ce goût des réalisateurs américains pour les gros morceaux Hip-Hop épileptiques sur les bords et la façon dont le cinéma américain s'en sert pour montrer la "débauche". Ça devient un gimmick un peu facile et c'est directement vulgaire, il ne faut surtout pas qu'il y ait la moindre sensualité à l'écran.
La seconde, c'est la toute fin. Elle n'est pas ratée, je n'ai aucune idée de ce que j'aurais mis à la place parce que je ne suis pas scénariste, mais je trouve qu'il y a un truc en trop à la fin qui m'a fait me dire "Seul un personnage ferait ça". J'ai compris le symbole, ce que ça disait d'Anora et de l'état dans laquelle elle se trouve à ce moment-là, mais pour moi ça ne s'insère pas de façon très naturelle dans le récit, même si encore une fois ce n'est pas mauvais.
En bref c'est pas déconnant que le film ait eu la Palme d'Or, il est très agréable à regarder et je pense que c'est essentiellement le rythme de sa première partie qui a fait la différence à Cannes puisque le film épouse les codes de la comédie romantique et non du drame. Je trouve aussi que c'est très accessible à partir du moment où la vulgarité ne nous pose pas de problème en tant que spectateur.