Sean Baker désenchante le conte de fées. Il déchire Pretty woman. Anora n'est pas une histoire d'amour. Anora n'est pas une comédie romantique. Anora n'est pas une princesse, Vanya n'est pas un prine charmant. Tout ça n'existe pas, ni le conte, ni l'amour, ni le rêve américain. On efface tout, on recommence. Ou plutôt, Sean Baker part de ces histoires, pour les détourner dans une version satirique, acide, caricaturale, cru, et très drôle, où les sentiments n'ont plus de valeur, où c'est le sexe qui vaut de l'or (mais un sexe moche). Ça devient un genre de comédie mafieuse italo-américaine, mais au lieu des Italiens, on a des Russes, et ça va loin, les Russes. Ça devient aussi une comédie sociale, décrivant les écarts de vie entre une jeune travailleuse du sexe précaire et le fils d'un oligarque russe hors-sol, et ils sont grands, ces écarts. Ça devient un drame, évidemment. La gueule de bois finit en palme d'or, et malgré quelques répétitions en longueur, le rythme suit les battements du cœur de la mise en scène dynamique.
Anora n'apprécie guère qu'on la réduise à son métier, et ce avec mépris, et se qualifie, dans sa répartie frénétique, d'"heureuse élue", expression symbolisant très bien les visions déformées de la jeune femme vis-à-vis d'une réalité qu'elle ne veut pas désespérer et à laquelle elle s'accroche coûte que coûte (que la mise en scène accentue en en effaçant progressivement les couleurs jusqu'à devenir noire, blanche et grise). Ani croit au conte. Mais quand sa fée s'appelle Igor et ressemble à un tueur en série, c'est acide. Une fée triste et une princesse désabusée, pour un dernier plan, fixe, sobre et grinçant, dans tous les sens du terme, qui va toucher sans caprice le seul réel existant, celui d'une humanité qui a perdu l'amour heureux auquel elle a plus que droit.