La faute de l’abbé Mouret.
Roman Polanski est un gros dégueulasse. Roman Polanski est aussi un immense réalisateur (The Ghostwriter, Rosemary’s baby, The Pianist). A l’époque de Zola, le célèbre critique Sainte-Beuve écrivait que la compréhension de l’œuvre passait par la connaissance de la vie de son auteur – ce que Zola résume ainsi : « Sainte-Beuve, un des premiers, comprit la nécessité d’expliquer l’œuvre par l’homme. Il replaça l’écrivain dans son milieu, étudia sa famille, sa vie, ses goûts, regarda en un mot une page écrite comme le produit de toutes sortes d’éléments, qu’il fallait connaître, si l’on voulait porter un jugement juste, complet et définitif. ». Mais revenons-en à Polanski, à « l’Affaire Polanski », à J’accuse.
J’avais pris mon billet et, au moment de le faire valider pour entrer dans la salle, la femme chargée de cela me lança un regard à demi noir, culpabilisateur. De quoi me mettre bien mal à l’aise. Et puis, une fois le film débuté, je commençai à ressentir ce fardeau-là, en effet… qui par la suite s’effaça. Donc, le film – je m’égare, je m’égare…
Le film se présente en deux temps : le présent, temps de l’enquête menée par Marie-Georges Picquart, et le passé, sous forme de flash-backs de ce-dernier (la transition entre les deux par le flou est malheureusement très clichée), qui se remémore quelques étapes de la condamnation de Dreyfus. Ça y est, le nom est sorti… Dreyfus, Polanski, Polanski-Dreyfus… Bon ! Ici, ne pas prendre en compte les remarques de Sainte-Beuve serait rédhibitoire. En effet, si le cinéaste a décidé de reprendre cette « triste farce » à con compte, ce n’est pas un hasard. Mais ce cynisme n’est pas si évident, ou du moins il n’emploie pas trop les gros sabots. Ce sont surtout les média, les critiques, qui en font des paquets ! On sait que Roman Polanski a violé des femmes, en a été jugé, que l’affaire a connue une fin. Ce n’est que récemment qu’une deuxième « affaire Polanski », juste avant la sortie du film, a éclaté, participant au boycott de l’œuvre et de sa promotion. On ne peut que sourire en entendant les membres du gouvernement français de l’époque dire à Picquart : « Je ne veux pas d’une deuxième affaire Dreyfus. ». Mais, le film, restons-en au film…
Jean Dujardin dans un rôle non-comique, est difficile à s’approprier. On prend du temps à le prendre au sérieux. Je crois que même lui faire dire « Bonté divine » de la façon la plus sérieuse et grave du monde provoque l’hilarité, comme si ces mots-là ne lui convenait pas, ou que le spectateur n’était pas encore habitué à les entendre dans la bouche du comique rarement pince sans-rire. Cependant, il y a deux Jean Dujardin : celui qui joue Picquart, têtu, grave, dans son rôle dramatique, et celui qui par-moments, resurgit d’OSS avec ses petites répliques bien placées (lors des procès, ou avec Louis). En d’autres termes, Dujardin crée les émotions, crée le tragique et le comique et les mêle dans un seul visage. Le pari du casting, de ce point de vue, est gagné. La ribambelle de grands acteurs français qui jouent auprès de lui – de la Comédie Française notamment, c’est frappant – rend l’affiche alléchante.
Mais si Dreyfus est Polanski, alors qui est Zola ? qui est Picquart ? Je pense que le cinéaste se dissimule dans les trois personnages. C’est bien lui qui « accuse »… car qui le défend avec une telle poigne ? Qui accuse-t-il… ça, c’est une autre question ! Évidemment, on tombe d’empathie pour le pauvre Dreyfus, mais on est bien plus touché par les condamnations de Picquart et Zola. C’est pour cette raison que je crois que le rôle du bouc émissaire dans lequel le cinéaste (coupable, ça on en est certain) s’est disséminé dans les personnages victimes de l’injustice.
Mais pour en revenir à Sainte-Beuve, à la biographie de l’auteur, il ne faut pas oublié non plus que Polanski a échappé à la Shoah, a été témoin de l’assassinat de sa femme (quoiqu’en dise Tarantino !), et que sa vie n’a pas été très gaie (et on les ressent bien dans l’ambiance du film, tous ces évènements). Mais tout cela n’excuse aucun de ces actes sexuels impardonnables. Il livre un beau film, prenant, bien mené dans l'ensemble. De là à refuser d’aller voir le film… Tout ce que vous financez en achetant le billet, c’est le cinéma français (les 10% du prix qui vont au CNC, rappelons-le, qui produit beaucoup de comédies de très bas étage)!