Enfin vu ce Graal absolu pour moi (mille mercis à Mathieu), je vous raconte : jeune ado j'allais comme tout le monde louer des films au vidéo-club le plus proche (il fallait tout de même prendre la bagnole, donc c'était un événement). J'ai très vite été attiré par le rayon gore / horreur ou bien qu'interdit au moins de 18 ans, le gars nous laissait louer des films. C'est ainsi que j'ai découvert les grands classiques du genre, Fulci, Hooper, Romero et bien d'autres, vous connaissez sans doute la chanson vous aussi. J'ai même loué Salo de Pasolini qui était rangé dans ce rayon, et ça a sans doute contribué à changer ma vie de cinéphile également. Bref, un film que je n'osais pas louer, c'était Anthropophagous, à cause de sa jaquette terrifiante, et de ce personnage lugubre (joué par Georges Eastman) qui dévorait ses propres entrailles, le comble du cannibalisme, me disais-je alors. J'avais lu également sur ce film dans Mad Movies alors que j'avais dans les 13 piges, et ce que j'en avais lu me terrifiait. Je voulais absolument voir ce film mais je n'osais pas, notamment montrer cette jaquette à ma mère quand elle passerait au guichet pour l'emprunter. Et puis finalement, un jour je l'ai fait, je ne sais plus si j'étais avec ma mère (il me semble) ou avec un de mes copains d'alors, mais j'avais enfin le Graal tant fantasmé avec moi. Je me souviens, fébrile, avoir glissé la VHS dans le magnétoscope, et puis... rien. Il ne se passa rien. J'ai oté la cassette, et découvert que la bande magnétique était sectionnée, nette. Déception ultime, il était donc écrit que je ne verrai jamais ce film aussi désiré que redouté. La vie est passée, et je ne l'ai jamais vu depuis, jamais tombé sur une copie, film jamais édité, ou alors uniquement de manière pirate, bref, je n'en ai jamais eu l'occasion. Jusqu'à ce que mon ami Mathieu tombe sur un dvd aussi rarissime que non autorisé et que se propose de me le prêter la semaine dernière. Evidemment dans ces cas--là, quand on a désiré un film pendant plus de 35 ans, on est forcément déçu, le film qu'on a fantasmé est toujours mille fois meilleur que la réalité. Eh bien non, pas ce coup-là, Anthropophagous est un film génial, tordu, et un grand d'Amato pour sûr ! C'est en fait un slasher, avec une bande de touristes qui débarque sur une ile abandonnée ou survit un ermite devenu cannibale qui va tous se les dézinguer. C'est un vrai grand film du genre, car ça transpire le bricolage, les inventions formelles, les saillies gore (sortie et cannibalisme du foetus, autocannibalisme final mentionné plus haut), mais surtout ça semble habité tout du long (malgré les très nombreuses incohérences tant formelles que scénaristiques dont on se fout parfaitement d'ailleurs). Le film est une vraie apologie du DIY de l'époque et m'a fait penser formellement à tout ce qui pouvait se faire à l'époque (début 80's) en terme d'innovation musicale notamment en musique industrielle et expérimentale. Il y a la même saillie, la même provocation, la même croyance en son matériau, même si totalement bancal et amateur, bref, on sent vraiment l'artiste habité par ce qu'il fait, et le résultat est dévoile une pureté de geste qui personnellement m'impressionne beaucoup. Vivement que quelqu'un édite maintenant ce film en le restaurant et qu'il devienne le vrai classique du genre qu'il est.