Anti-Squat est une société à but lucratif. Son activité consiste à engager des personnes pour occuper des locaux vides plutôt que de risquer qu’ils se fassent squatter. A la recherche d’un emploi dans l’immobilier, Inès postule par Internet
L’ouverture du film nous présente Inès (Louise Bourgoin, très impliquée et convaincante) le regard face à la caméra (sa webcam). Elle cherche à inspirer confiance à son éventuel futur employeur avec une attitude de franchise. Pour le réalisateur (Nicolas Silhol) c’est tout autre chose, puisqu’il brise d’emblée une des règles de base du cinéma : les acteurs ne doivent jamais regarder la caméra ! Le malaise créé (première impression de spectateur) se trouve renforcé par le fait qu’Inès s’adresse à un robot qui pose des questions de manière mécanique et qui se trouve exactement à notre place, nous spectateurs. A mon avis, Nicolas Silhol cherche à faire passer le message suivant : « Regardez-moi, Inès, jeune femme en difficulté, et observez tout ce à quoi je vais être réduite pour assurer mon avenir. Notez toutes les compromissions par lesquelles je vais passer et faites le bilan ! »
Sélection des résidents
Chez Anti-Squat où elle signe son contrat d’embauche (CDD), Inès enregistre tout ce qu’elle devra appliquer et faire appliquer en tant que manager-senior. Responsable d’un bâtiment, elle choisit celles et ceux qui occuperont les locaux avec elle. Les candidats se bousculent pour la simple raison qu’on ne leur demande que deux-cents euros par mois. Plutôt qu’un loyer, il s’agit d’un droit d’entrée, car ils n’intègrent pas une colocation. Bien évidemment, pour des personnes aux ressources limitées, un logement à ce prix s’avère une excellente occasion, malgré les inconvénients qui l’accompagnent. De son côté, Inès accepte cet emploi chez Anti-Squat parce qu’elle ne peut plus payer son loyer (à court terme, elle risque l’expulsion). Un emploi est donc bon à prendre et elle ne va pas se montrer trop regardante sur certains détails. Or, elle et ceux qu’elle choisit mettent le doigt dans une sorte d’engrenage.
Premiers soucis
Prévu pour des bureaux, le bâtiment investi – quelque part dans une zone d’activités péri-urbaines en région parisienne – est adapté à la va-vite par un ouvrier qui ménage en particulier des espaces communs. Mais le chauffage par exemple n’est pas prévu pour un usage d’habitation. Autre souci, les règles établies par Anti-Squat sont sévères : pas plus de deux invités, pas d’activité commerciale, pas de cuisine dans les chambres, un emploi mais pas d’enfants, etc. De plus, les sélectionnés vont devoir s’occuper de l’entretien des lieux, notamment des espaces verts. Difficile à avaler pour ces personnes déjà pour la plupart surmenées et mal payées. Parmi eux, une infirmière et un enseignant…
Dérapage
Les choses vont rapidement clocher, car dans le groupe qui intègre les lieux, on comprend que personne n’est disposé à respecter l’ensemble des règles, trop contraignantes. A noter qu’Inès est la première concernée, puisqu’elle est la mère d’Adam (surprenant Samy Belkessa), 14 ans, que dans un premier temps, elle laisse seul (dans le logement où elle ne peut plus payer le loyer…) Confrontée aux incartades des résidents à qui elle doit faire appliquer le règlement, elle apprend à se montrer convaincante… en faisant des compromis. Tant que tout cela ne parvient pas à la connaissance de sa direction, tout va bien. Mais, rapidement, Inès va devoir gérer un groupe qui accepte de plus en plus mal ce règlement et calmer une direction qui grince de plus en plus des dents…
Caractéristiques du film
Il montre ce qui peut arriver dans une société (à l’image de la nôtre) où la recherche du profit est la motivation principale de la grande majorité. Une motivation qui vaut aussi bien pour la grande entreprise que le petit propriétaire. L’idée du film se base sur l’esprit de l’expérimentale loi ELAN de 2018 pérennisée par une loi promulguée en juin 2023 autorisant des entreprises à loger des résidents temporaires dans des locaux pour éviter qu’ils soient squattés. Anti-Squat agit donc en toute légalité, sans qu’une société comme GSP (Groupe de Sécurité Policière ?) qui ressemble fort à une milice (malgré le flou entretenu par le scénario) puisse s’y opposer. La réalisation insiste sur l’ambiance dans notre société rationaliste, avec des couleurs assez froides dans l’ensemble, des relations basées sur l’intérêt et des lieux impersonnels. Rien de vraiment chaleureux, même quand il y a de l’espace. D’ailleurs, de l’espace, Inès en a besoin et une des séquences les plus jouissives (par sa conclusion) va à celle où elle cherche avec l’aide d’un résident à dégager une pièce encombrée de mobilier et de matériel informatique. Enfin, la musique cosignée Mike et Fabien Kourtzer avec Alexandre Saada, contribue à établir une ambiance anxiogène.
Les relations humaines
Dans ce registre, nous avons essentiellement celles entre Inès et son fils qui entretiennent une réelle complicité (chacun s’inquiète pour l’autre), malgré la crise d’adolescence et l’activité de rappeur d’Adam (compositeur et chanteur) dont on profite à plusieurs moments. Le message véhiculé par les paroles est on ne peut plus adapté. Et cela nous vaut une scène un peu en dehors du temps qui donne une étonnante touche de comédie musicale à ce film où la tension monte progressivement. Les autres relations sont minées par la méfiance et l’intérêt. Petit regret aussi avec la situation de la comédienne, oubliée un temps avant de réapparaître aux abois (Inès tiendra-t-elle sa promesse de l’aider ?)
La conclusion
Elle se révèle assez amère pour Inès et toutes les compromissions auxquelles elle s’est soumise. Le film montre et rappelle que toute personne peut être achetée, même si ce n’est pas forcément avec du cash. Constat logique dans une société gouvernée par le profit et qui favorise l’égoïsme et l’individualisme. Heureusement, il reste l’idéalisme de la jeunesse et le choix d’Adam comme prénom nous renseigne (allusion à la Bible qui désigne Adam comme le premier homme sur Terre, avec cette idée d’un espoir grâce à du sang neuf). Bien qu’assez désespérant, le film a l’audace d’imaginer des dérives plausibles au vu de l’évolution de notre société en manque de repères et de valeurs. Sa limite, c’est qu’il se contente de désigner la recherche du profit (sans état d’âme) comme responsable des maux de notre société. En gros, le souci de rentabilité s’accompagnerait de la dégradation des relations humaines, raisonnement qui mériterait d’être étoffé. Anti-Squat rappelle néanmoins que les dérives les plus dangereuses se propagent par dilution des responsabilités. On a beau connaître les causes et les conséquences possibles (voyez le nazisme et ses effets désastreux), le risque persiste.
Critique publiée initialement sur LeMagduCiné