Antiviral, tu perds ton sang froid.
Drôle de coïncidence, Antiviral était présenté à Cannes en section Un certain regard la même année que Cosmopolis en Compétition officielle. Et c'est une coïncidence car Brandon est bien le film de David, Cronenberg tous les deux donc.
La patte du papa est palpable puisque père Cronenberg produit le film du fiston. On y retrouve une fascination familiale pour la chair triturée, la maladie, le corps en souffrance, l'ambiance clinique délétère.
Fraîchement accueilli, à Cannes comme ailleurs, comme une mauvaise variation sur un thème paternel, je voudrais ici militer pour une réhabilitation de ce film singulier.
Il a déjà de nombreuses qualités : une photo superbe et glacée, qui sied à merveille à l'ambiance général, des décors au diapason et dont la blancheur immaculée tranche violemment avec le noir funèbre des uniformes ou le rouge des chairs manipulées, du sang versé et des lèvres pulpeuses d'une starlette, et puis surtout, un acteur principal absolument démentiel : Caleb Landry Jones. Cet inconnu au bataillon s'investit chairs et âme dans un rôle difficile, et c'est tout juste s'il ne donne pas l'impression d'être réellement malade et mourant au cours du film.
Côté scénario, c'est certes là que ça coince un peu : le point de départ, dystopique, est passionnant : le phénomène des stars est devenu si important que les gens vont jusqu'à acheter des sérums contenant les maladies de leurs personnalités favorites. La première partie du film, brillante, développe autour de ce canevas. Soit un personnage principal qui travaille pour une entreprise spécialisée dans l'extraction et la vente de ces précieux virus. Mais le film court deux lapins, tare fréquentes des sujets de SF et d'anticipation : d'une part le désir de documenter sur un monde que l'on découvre, de l'autre celui de construire une intrigue amoureuse et policière, façon film noir. Mais n'est pas Ridley Scott qui veut, et c'est bien là que le bât blesse. Car si Cronenberg Jr parvient à nous convaincre pour la cohérence d'un univers qu'il construit sous nos yeux, à grand renfort de scènes atroces d'inoculation d'herpès, de manipulations génétiques, de trafics de chairs avariées, quand il rajoute la dimension policière du récit, on s'y perd totalement.
Montrer les effets sanitaires dévastateurs de tels procédés est une bonne idée : à force de s'injecter n'importe quoi, les gens tombent vraiment malades et meurent. Pourquoi pas aussi l'idée de développer un marché noir de la maladie chic, avec le héros qui s'injecte des trucs random pour les récupérer chez soi, d'où une lente dégradation de sa santé physique et mentale. Le problème c'est que rajouter à tout cela - sans doute pour donner une orientation au récit - l'histoire d'une star qui décède mystérieusement et dont on veut en plus récupérer le virus pour le vendre crée une belle confusion. On se laisse donc porter sans déplaisir, un peu éberlués, comme à travers une hallucination vécue par un personnage qui de toute manière est totalement déconnecté, dans un torrent de rebondissements: réapparition comme dans "Laura" de la morte qui ne l'était pas, invités de luxe qui font des apparitions (Malcolm MacDowell).
Le récit est fragilisé et se perd définitivement mais l'ambition est sincère et le résultat à un panache indéniable.