Le népotisme, moi je dis, y a que ça de vrai. Ben ouais : c’est quand même plus sûr de refiler son merdier à ses enfants/neveux/petits-enfants, qu’à des inconnus dont on ne sait pas trop d’où ils sortent. Bon, il y en a quelques-uns qui assument pas vraiment, alors ils changent de nom (Thomas Langmann, ne quittez pas la salle tout de suite !). Ou alors c’est à cause de leurs films : "Nan mais t’as vu comment ils sont pourraves, tu fous trop la honte à la famille !" (1) (Thomas, restez assis, nom de dieu !). Heureusement pour nous, Brandon Cronenberg a bien fait ses devoirs.
Ou plutôt : il a bien vu et compris tous les films de Papa David. Parce qu’Antiviral, c’est avant tout du David Cronenberg pur jus, plutôt période "Videodrome" que "A Dangerous Method". On a tout le décorum habituel : des groupes pharmaceutiques qui se font la guerre, des éruptions cutanées bien dégueulasses et de la machine qui vient faire des mamours à de la chair fraîche. Les fans seront en terrain connu.
Là où Brandon se démarque de David, c’est dans le traitement de son histoire et de ses personnages : il faut bien avouer que dans les premiers Cronenberg (Chromosome 3, Frissons, Rage…), les personnages sont tous plus clichés les uns que les autres (quand ils ne sont pas totalement inintéressants) et l’histoire est d’un classicisme plombant. Attention, ne vous méprenez pas : j’adore ces films-là bien plus que les derniers sortis en salles (et bien plus que je ne le devrais pour ma santé mentale). Ici, et bien que l’on soit dans un vrai film de genre (comprendre : "sans prétention auteurisante"), les personnages surprennent constamment, leurs relations sont ambiguës, pleines de sous-entendus. L’histoire est racontée de manière rigoureuse, en collant aux basques de son personnage principal, Syd March.
Syd March, formidablement interprété par Caleb Landry Jones, est l’employé d’une société… on va dire "pharmaceutique" pour faire simple, qui propose à ses clients de leur inoculer les maladies de leurs stars préférées. Voilà, c’est aussi classe que ça. Vous voulez l’herpès génital de Trucmuche Kidman ? Vous alignez le cash, on vous fait une piqûre et bingo, à vous les joies de crèmes anti-rougeurs ! Comme la maladie est prélevée directement sur la star en question (payée pour le faire, évidemment) lorsqu’elle la contracte, on vous assure une origine fraîche et labellisée. Je n’en dirai pas plus sur l’histoire car elle développe son univers petit à petit, sur toute la durée du film, ménageant des surprises qu’il serait dommage de révéler ici.
Le film est une réflexion sur la célébrité, sous l’angle de la maladie; un discours sur ce qui nous pousse à nous intéresser, voire nous identifier, à des personnes "connues". Sommes-nous capables d’aller jusqu’à nous injecter des maladies – certaines permanentes – simplement pour se sentir "proche" de notre star préférée, de vivre une partie de sa vie par procuration ? Pourquoi certaines personnes sont-elles célèbres ? ce à quoi l’un des personnages répond par la célèbre tautologie : "Ils sont célèbres parce qu’ils sont célèbres". Le film pose toutes ces questions et d’autres, tout en se gardant bien d’y répondre : Brandon Cronenberg opte ainsi pour une mise-en-scène distanciée, clinique qui colle parfaitement au personnage de Syd March et à l’univers médical dans lequel il évolue.
Symptôme classique d’un premier long, il n’évite pas l’écueil du "ventre mou" vers le milieu du film, mais s’en sort très bien en relançant intelligemment l’intérêt de l’histoire, grâce à la mise en avant d’un personnage jusqu’alors secondaire. Sur l’interprétation impériale de Jones : il donne parfois l’impression d’être extrêmement vieux, son regard, sa voix sont ceux d’un être qui semble avoir vécu des siècles, en dépit d’une apparence juvénile (il a 22 ans). Et le thème du vampirisme qui sous-tend tout le film confirme cette impression : ATTENTION SPOILER (cliquez et glissez pour faire apparaître le texte) les ultimes secondes laissent carrément penser que Syd March est un vampire, un vrai !
(1) Claude Berri n’a jamais dit ça.