Commençons par évacuer ce qui fâche : comme souvent hélas avec Becker, il y a une lourde morale niaiseuse fondée sur l’appartenance à une classe sociale bien définie avec un manichéisme qui ne recule devant pas grand-chose. Ainsi, le bourgeois est toujours un traître en puissance, le patron abuse forcément de son argent et de son pouvoir de la pire des façons, le moindre contremaître est un tyranneau, et les ouvriers sont bien sûr tous méritants, joyeux et solidaires même que ça en frise la malhonnêteté intellectuelle...

Heureusement, passé ce léger désagrément qui ne gênera pas forcément les plus dogmatiques d’entre nous, le film est vrai petit bonheur de légèreté et d’humanisme tendre.

Antoine bosse chez un imprimeur, Antoinette au photomaton du Prisunic, ils sont jeunes, pauvres et s’aiment comme les jeunes mariés qu’ils sont, heureux de vivre dans cette atmosphère étrange des petits logements ouvriers parisiens, contraints à des efforts de voisinage, la petite vie de quartier, cette rue qui ne ressemble à aucune autre et à toutes en même temps, l’épicier salace, la fille du barman qui va se marier, la voisine qui bosse au métropolitain, les dimanches au bois ou au match de foot, la lecture aussi, comme passe-temps seulement, parce que l’Antoine récupère les exemplaires défectueux à l’œil, la radio qu’on bidouille à la douille des ampoules, le lavabo qui sert d’évier, pauvres, mais propres, pis probes aussi, pas fier devant les camarades, mais faut pas croire, on a sa dignité tout de même, pis on rêve aussi, d’un petit side-car, d’un gosse peut-être, même qu’Antoinette a acheté un billet de la loterie, que ça devient du René Clair, vous savez, le Million, mais rien à voir tout de même, pas le même registre…

Ce qui est merveilleux, comme toujours chez Becker c’est la virtuosité dans le détail, les petits riens qui veulent tout dire, le café un peu dégueu dont on sentirait presque l’odeur, la jalousie qu’on s’invente pour une boîte de sardines, le type qui se fait reprendre parce qu’il mouille le sol, et pour cela, des décors parfaits et des acteurs d’une rare justesse.

Pour le difficile rôle du salaud d’épicier, Noël Roquevert impose une fois de plus son génie de la crapule, Gaston Modot fait un employé de loterie absolument jubilatoire, les deux petits choux sont assez mignons, Annette Poivre est d’un naturel absolument désarmant en employée de la RATP sans monnaie et on a même le plaisir d’apercevoir Louis de Funès deux minuscules instants, dont un déguisé en Groucho Marx…
Avec tout ça, un magnifique travail de Colette Crochot, que je voulais relever au moins une fois, parce que bon, c’est pas sympa d’oublier à chaque fois la scipt-girl…

Ca pétille, ça sent la joie de vivre, mais c’est un peu amer aussi, c’est bien beau de s’illusionner et d’y croire, mais si le beau rêve s’effondre, il se passe quoi ? C’est encore possible de continuer la même chienne de vie, quand on est passé si près de son side-car ?

Il y a quelque chose de douloureusement tragique dans cette comédie du petit monde ouvrier qu’on oublie pas toujours complètement, mais rassurez-vous, rien n’entache définitivement le charme du film qui n’est pas sans rappeler, comme le précisait un jour la petite peste, certaines histoires de Vidor ou de Borzage, la photographie majestueuse et la puissance en moins, mais avec cette petite gouaille si française en plus, et qui en fait tout le prix.

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le 22 mai 2013

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Torpenn

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