Durant la guerre du Vietnam, l’opinion publique américaine est profondément divisée. Le cinéma s’empare du sujet, certains cinéastes pour soutenir la guerre (comme Les Bérets verts de Wayne) d’autres pour la dénoncer de manière indirecte (comme le court métrage de Scorsese : The Big Shave, The Wild Bunch de Peckinpah). C’est dans ce courant de dénonciation que s’inscrit Apocalypse Now de Coppola. Film auquel il tenait particulièrement et pour lequel il a hypothéqué tous ses biens afin de pouvoir le réaliser. Film tourné dans des conditions cauchemardesques, et qui le conduisit au seuil de la folie, comme le relate le documentaire de sa femme Hearts of Darkness: A Filmmaker's Apocalypse (1991).
Apocalypse Now mérite d’être considéré comme un chef d’œuvre. C’est un film de guerre, mais avant tout un film d’ambiance quasi surréaliste grâce à ses jeux de lumière et d’ombre, et ses fumigènes colorés donnant le sentiment de voyager dans un autre monde.
Coppola avait voulu que son film soit un grand spectacle de son et lumière. Et ça l’est ! L’une des scènes les plus fortes : la flotte d’hélicoptères volant dans le ciel sur la mélodie de la marche des walkyries de Wagner tandis que des explosions phénoménales ont lieu au sol. Le son est omniprésent : cris, bruit des armes, cris des hommes et la lumière également : flamme, explosions, étincelles, fumigènes phosphorescents.
Cependant cette dimension « son et lumière » disparaît à certains moments du films qui plonge alors dans un silence total et une obscurité profonde. Moments de grande intensité créés grâce à la surenchère de bruits et de couleurs qui précèdent.
L’histoire ? Elle est très simple. Le capitaine Willard est chargé par l’armée de trouver le colonel Kurtz et de le tuer. Il est jugé barbare et déséquilibré. Il vit désormais avec des indigènes et est vénéré comme un dieu.
Willard embarque sur un petit rafiot avec quelques soldats qui ignorent tout de la mission. Commence alors la longue remontée de la rivière qui les entraîne dans une jungle de plus en plus profonde. Alors que ses compagnons parlent à bâtons rompus et sont dans leur « trip », Willard est taciturne, plongé dans ses pensées. Il étudie les documents et cherche à cerner sa cible, ce colonel qui était autrefois considéré comme un véritable héros américain et qui est devenu l’homme à abattre. Il réfléchit et il observe autour de lui. Car durant ce trajet, le rafiot fait des escales dans des bases militaires. La folie et la barbarie reprochées à Kurtz règnent partout, qui y échappe ? Des officiers aux simples soldats, tous sont frappés. L’horreur est est une réalité omniprésente. Les chefs sont inexistants, le chaos impose sa loi. Cette guerre est devenu le règne de l’absurdité.
Le ressenti de la violence est renforcé par le décor naturel dans lequel elle prend place : une nature vierge, semblable à ce qu’elle était aux origines du monde : luxuriance de la jungle, superbes couleurs du ciel, calme des eaux. Un contraste criant !
Pendant que le rafiot avance, au fur et à mesure des escales et de la découverte de plus en plus crue de la barbarie de cette guerre et de ses ravages sur les corps et les psychisme, nous n’oublions pas le but du voyage qui obsède le capitaine. Avec lui nous faisons connaissance avec Kurtz à travers ses photos de jeunesse, des documents, ses lettres. On est polarisé par l’attente de la rencontre. L’arrivée dans le sanctuaire sacré où il vit est un moment solennel. Le décor impressionne. On découvre Kurtz d’abord à travers le lieu, puis à travers l’effet qu’il provoque sur les indigènes, les soldats américains qui sont restés avec lui et un photographe journaliste hippie intarissable lorsqu’il parle du colonel. Arrive enfin le moment où on le découvre, cela se fait peu à peu : d’abord une silhouette dans le noir, puis des parties de son corps qui émergent dans la lumière avant de retourner dans le noir. Jusqu’au bout le personnage sera enveloppé d’une aura de mystère. Ses discours résonnent dans la pénombre et au milieu d’un silence rare dans ce film. Personnage campé par un Marlon Brando devenu obèse ce qui donne encore davantage de « poids » à ce colonel déifié par son entourage.
Apocalypse Now est le film qu’il fallait réaliser sur le Vietnam. Tourné dans des conditions folles, il verse dans l’excès d’une manière maîtrisée même si tout le long du tournage Coppola ne savait pas où il allait et désespérait de boucler son film. Au final, chaque plan est à sa place et parfaitement ciselé. Bruits, musique et silence ; lumière et obscurité ont la place qui leur revient. Rien n’est gratuit. Un film sur la folie de la guerre détruisant même ses héros, transformant à tout jamais ceux qui y ont participé, les changeant malheureusement pour le pire ! Qui pouvait sortir indemne de cet enfer !