Le propre de la critique est bien trouver un angle personnel.


Les films connus, les réalisateurs importants ont été maintes et maintes fois analysés, critiqués, disséqués, leurs oeuvres regorgent de livres qui leur sont consacrés, et des tonnes de choses intelligentes pertinentes ou prétentieuses ont été publiées.
Dans ces conditions, il n'est pas évident de faire quelques lignes sur un des plus grands monuments de la fin du siècle passé, j'en conviens.


Nous nous contenterons donc juste d'évoquer deux réflexions (forcément, donc) personnelles que m'ont inspiré ce film absolu.


Une série de sensations brutes, une ambiguïté géniale.


Apocalypse Now, c'est d'abord et surtout pour moi, à chaque fois que je pense à ce film, une série de flashs, de sensations, de moments ressentis avec une force et une soudaineté comme très peu d'autres films ont su le faire.


Les premières secondes sont à ce titre exemplaire. Comment plonger aussi rapidement dans une ambiance ? Sheen allongé sur son lit, baignant dans le "the end" des Doors est d'une puissance immédiate rarissime.
C'est d'autant plus fort que ce moment inoubliable n'est pas unique dans le film. Plusieurs scènes restent gravées en nous définitivement, non par leur violence, non par leur aspect spectaculaire ou autre élément classique du langage cinématographique, mais bien par, à travers l'ambiance qu'elles dégagent, la sensation brutale et immédiate qu'elles inspirent. L'attaque des hélicoptères, la descente de la rivière, l'arrivée dans le camp du colonel, les dialogues avec ce dernier, sont autant de moments uniques de ce point de vue là.


Ensuite, l'ambiguïté du film est à mon sens aussi importante que le thème lui même.
Faire un film ou écrire un livre dont le message est "la guerre c'est mal" est à la portée de (presque) tous, et il faut bien avouer que souvent le traitement n'est pas à la hauteur du sujet (voir ma liste sur le sujet par ailleurs). Comment en effet dénoncer une forme absolue de violence sans la montrer de manière putassière ou condescendante ? Comment parvenir à insinuer le doute parmi ceux à qui s'adressent réellement le film, c'est à dire les amateurs de boucherie visuelle pour qui la violence cinématographique n'est rien d'autre qu'une façon comme les autres de se divertir ?
Réaliser une oeuvre forte sur la base d'un sujet fort est certes louable, conforter un public qui par avance est d'accord avec le message profond de son oeuvre est tout à fait honorable si le film est réussi.
Mais ce que parvient à faire Apocalypse Now est encore plus fort. Non seulement c'est un chef d'oeuvre, non seulement le sujet traité est essentiel (et en cela aussi un peu bateau) mais encore le fait-il de manière ambigue, insidieuse, complexe, et c'est bien sous ce seul angle qu'un tel type de sujet peut et doit être envisagé à mon sens.
Parce que le Colonel Kurtz est fascinant. Parce que les messages qu'il délivre à Willard sont un mélange de sagesse et de folie, parce que chaque personnage est montré dans toute sa complexité. Parce que la guerre imprime une marque totalement différente sur ceux qui la subissent, en fonction des convictions propre à chacun et de sa nature profonde.
Je dois avouer qu'à titre personnel, j'ai eu à faire, dans un cadre familial, à des ex-militaires de carrière et/ou sympathisant de tout ce qui marche au pas en uniforme, qui avaient adoré certaines scènes du film et ne semblaient pas avoir perçu l'ambivalence du propos.
Et c'est sans doute la seule façon qu'une telle oeuvre puisse un jour, en ayant contribué à leur faire baisser la garde, creuser son sillon jusqu'au plus profond du subconscient. Et atteindre son but dans les consciences les plus improbables. Mais était-ce ça son but ?


Deux derniers points: pour aussi avoir lu "Au coeur des ténèbres" de Joseph Conrad dont s'est inspiré Francis Ford Coppola, je dois dire que les deux oeuvres sont aussi fortes l'un que l'autre mais finalement très différentes. Enfin, la version "redux" n'apporte rien.

guyness

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