Alors on va se mettre d’accord tout de suite. Je ne suis pas une experte culturelle des civilisations mésoaméricaines, je n’ai aucune intention de le devenir un jour, et tout ça m’intéresse très modérément.
Néanmoins, je sais que le déclin de la civilisation Maya est entouré de mystères. Cette grande civilisation s’est prise plusieurs crises de plein fouet, sanitaires, alimentaires… et par conséquence économico-socio-politiques (la réciproque doit certainement fonctionner). Le tout dans un lapse de temps assez court, nourrissant ainsi beaucoup de thèses en la matière.
C’est donc en pleine chute civilisationnelle Maya que nous rencontrons Patte de Jaguar, jeune chasseur accompli et membre d’une petite tribu forestière, alors bien ignorante des divers problèmes cités ci-dessus. Un matin, ses semblables et lui sont capturés par une sorte d’unité d’élite guerrière en provenance d’une grande cité, afin de servir de chair à sacrifice.
Malgré l’implication d’un archéologue et expert Maya dans la réalisation du film, j’ai cru comprendre qu’il y avait eu énormément de controverses sur l’historicité d’Apocalypto. Apparemment il y a un certain nombre d’anachronismes ici et là (éléments artistiques, décoratifs etc…). Et surtout, LE GROS détail qui a fâché certains représentants culturels et autres associations anti-racistes : les sacrifices humains étaient le plus souvent volontaires. Autrement dit, ça ne se faisait pas d’aller dans la jungle chasser des ploucs par centaines pour servir de chair à sacrifice. Il paraît que les nobles s’y collaient bien volontiers, ce qui n’est guère surprenant. Après tout, toutes ces populations tribales avaient une autre perception de la mort, bien moins fataliste ou punitive que celle véhiculée par les grandes religions monothéistes.
Encore une fois, mes connaissances en cultures mésoaméricaines étant proches de zéro, je me dispenserais d’émettre trop de commentaires là-dessus, je ne suis tout simplement pas qualifiée pour ça.
Mais premièrement, on ne peut décemment pas reprocher à Gibson de ne PAS avoir filmé un documentaire. Ce n’est clairement pas ce qu’il a voulu faire. Deuxièmement, la force d’Apocalypto réside bien plus dans son effort de réalisme de manière générale, que dans son exactitude historique. Ce n’est pas la même chose du tout.
Car ne nous le cachons pas. L’attrait principal d’Apocalypto, filmé au cœur d’une civilisation grandement ignorée du Septième Art, vient précisément de son exotisme époustouflant.
Dans un sens, peu importe l’exactitude historique. Pour nous autres ignorants de la civilisation Maya, ce film nous invite à contempler la beauté des paysages, des costumes, des personnages, et c’est avec émerveillement que nous nous prêtons au jeu. Grâce à la caméra de Gibson, c’est vraiment avec la curiosité d’un touriste fraîchement débarqué de son avion que nous pénétrons dans la cité, pour en découvrir son quotidien, sa nourriture, ses commerces, ses savoir-faire, ses castes.
La deuxième partie du film, où Patte de Jaguar essaie d’échapper à ses bourreaux, est encore plus immersive que la première. Là, nous sommes souvent mis à la place du héros. La caméra bouge beaucoup et rend la course poursuite dans la jungle assez palpitante. Rien de mieux pour tenir un spectateur en haleine que de mettre un protagoniste en position désespérée, lui donner un minimum de moyens, et voir comment il s’en sort. C’est ce qui se passe ici, et c’est certainement un élément attractif majeur du film.
Je tiens à insister sur un point : aucune civilisation humaine n’est « née » cruelle, les Mayas comme les autres. De toute évidence, l’abondance de cadavres n’est là que pour contraster avec l’exploit accomplit par Patte de Jaguar, pas pour souligner la brutalité imaginaire d’une civilisation disparue.
La présence de certains personnages malveillants est à la fois réaliste et nécessaire à l’intrigue, et ça non plus on ne peut pas le reprocher à Gibson. Et encore, même ce point est à nuancer. Par exemple le chef de guerre (Zero Wolf, au charisme explosif soit dit au passage), à première vue violent et autoritaire, se révèle être un père aimant et attentionné. Trait de caractère qu’il partage sans le savoir avec Patte de Jaguar.
« Une grande civilisation n'est conquise de l'extérieur que si elle s'est détruite de l'intérieur » Will Durant a dit ça, et Gibson nous le rappelle ici. Ils n’ont pas tort, et cela sollicite toujours beaucoup de débat. Néanmoins, je pense que ce serait une erreur de penser que ce film est un simple portrait de la civilisation Maya, pré-colonisation Espagnole. En réalité, il aurait très bien pu être filmé à une autre époque, dans une autre culture, et délivrer le même message.
Pour moi, ce film n’est ni plus ni moins que l’histoire d’un homme lambda (qu’on pourrait qualifier de « provincial/prolétaire ») ayant survécu à l’impossible, en se dressant avec courage face à une caste supérieure, en triomphant de ses incertitudes, et en déployant tout son potentiel.
En définitive, on assiste avant tout à la naissance d’un héros, qui assiste lui-même à la chute de son propre monde…. et qui ira mourir au fond de sa forêt bien-aimée sans que personne sur Terre ne sache jamais l’homme exceptionnel qu'il est. Cette pointe de poésie contraste joliment avec le reste du film.
Nul doute que certains représentants culturels auraient préféré qu’un Spielberg s’y colle, en dressant le portrait d’une Amérique Centrale pré-colonisation comme celui d’un jardin d’Eden peuplé de gens bons, intelligents, sensibles, spirituels… avant d’être cruellement piétiné par le vilain-pas-beau conquistador. Des problèmes politiques/économiques/sanitaires en interne ? De la corruption chez les décideurs ? (On a tous vu le petit hochement de tête complice du souverain à l’attention du prêtre, lors des sacrifices humains)
Balayez-moi tout ça sous le tapis, ce n’est pas très Awards friendly.
Car oui, je signe et je persiste : je suis persuadée qu’un tel procès d’intentions n’aurait pas eu lieu, si le réalisateur avait été quelqu’un d’autre que Gibson, l’enfant terrible d’Hollywood.
Il manque néanmoins un « je ne sais quoi » à ce film, et à tous les films de Gibson en général, pour que je lui donne une meilleure note. L’histoire est là, le réalisme est là, les acteurs sont là, le cadre est exotique et inédit. On frise le 8/10. Peut-être manque-t-il une véritable atmosphère sonore, et surtout une réalisation un peu plus originale, avec plus de travail sur la composition des plans, sur la photographie, les couleurs etc…
S’il arrivait à acquérir un style bien à lui, quelque chose qui fait qu’on reconnaîtrait ses films au premier coup d’œil, alors Gibson pourrait effectivement marquer l’histoire du Cinéma au fer rouge, en tant que réalisateur.
Et pourtant, je suis bien incapable de me souvenir d’un autre film qui me ferait penser de près ou de loin à Apocalypto !
Je l’ai vu pour la première fois il y a des années, et je le trouve toujours aussi agréable à regarder.
Je le préfère à « la Passion du Chris » et à « tu ne tueras point »
Pour moi, il reste le meilleur film de Gibson à ce jour.