Quoi que vous pensiez de Mel Gibson, que ce soit l'homme et ses nombreuses controverses ou l'acteur star des années 80/90, on ne peut pas nier sa détermination à mettre en œuvre sa vision, lorsqu'il faut passer derrière la caméra. Vision, courage et détermination, c'est la triple exigence qu'il s'impose à chaque nouveau projet dans lequel il s'implique. Et il fallait une bonne dose de détermination ou même d'audace, pour réaliser un projet de cette taille et sur la base d'un tel pitch. Prendre des éléments d’une civilisation oubliée (les Mayas) et les abstraire à des fins dramatiques, telle est l'ambition de Mel Gibson, ceci afin de créer une expérience cinématographique unique. Apocalypto nous emmène dans un monde que nous n’avions jamais vu auparavant sur grand écran.
À mon avis c’est l’essence même du cinéma, développer une histoire, puis la réduire à sa plus simple expression (en images). Certes, on pourrait soutenir ici que le récit est très secondaire, que Mel Gibson s'attache surtout à filmer une atmosphère et des sensations. Apocalypto n'en reste pas moins touchant et terriblement excitant par moment, en mettant l'accent sur la famille, la peur et la survie. On apprend très vite à connaître et à respecter ces personnages. Je pense surtout à la scène d'ouverture du film, avec le groupe de chasseurs qui découpent la carcasse du tapir. On s'attend à une discussion sur un ton très sérieux, mais Mel Gibson décide de prendre le chemin contraire et filme "une grosse blague". A travers cette séquence d’ouverture amusante et chaleureuse, on s'identifie tout de suite à ces indigènes.
Alors certes, de nombreux archéologues en herbe vont venir contester la vérité historique du film, mais comme dans Valhalla Rising de Nicolas Winding Refn, il convient de prendre en considération la manière dont le réalisateur joue avec les notions de mythes et de légendes. C'est assez subtile, mais le film est très stylisée et tous les sentiments (peurs principalement) sont exacerbés. Très vite, on a l'impression d'entrer dans un rêve ou plutôt un cauchemar dans le cas présent. J'y vois là l'influence d’un film comme Apocalypse Now de Francis Ford Coppola et donc d'un récit cauchemardesque comme Heart of Darkness. Il n'y a que le décor qui change, ici la jungle luxuriante et la civilisation maya filmée comme un enfer sur Terre.
Apocalypto peut également être vu comme un film dans le film. Le film que nous voyons devient une extension des contes racontés par l’aîné de la tribu, alors que les hommes sont assis tranquillement autour du feu de camp dans la scène précédant le carnage. Le film raconte alors le voyage intérieur de Patte de Jaguar qui doit faire face à ses propre peurs. Il se réveille juste après un rêve particulièrement éprouvant pour lui, car truffé d’allusions à des évènements qui vont prendre place tout au long du film. Le film serait alors une extension du rêve prémonitoire de l'indigène, avec la scène du massacre qui commence immédiatement après le réveil ...
La séquence d’ouverture jette toutes les bases pour le rêve de Patte de Jaguar, avec la notion de famille, de loyauté, d’honneur, de mort, de peur et de survie. Patte de Jaguar semble plus alerte que ses camarades et devine tout à l'avance. C'est notamment lui qui perçoit en premier la communauté d'indigènes "amis" qui fuient leurs maisons pour échapper à un mal effrayant (d'autant plus effrayant qu'on ne le voit pas).
Quoi qu’il en soit, Apocalypto est une expérience des plus fascinantes et à la limite du surnaturel. Il nous emmène dans un long voyage à travers la jungle, pour rejoindre la civilisation maya avec leurs temples, leurs rites et les sacrifices. On quitte l'authenticité du village des indigènes, pour entrer de plein pied dans le surnaturel avec les mayas. L’utilisation de la musique, des angles de caméra, du son et de la couleur, soulignent l'aspect surnaturel et fantaisiste de la civilisation maya.
Par conséquent, Apocalypto n'est pas un film documentaire, c'est même à l'opposé du film documentaire ... c'est une expérience sensorielle et viscérale totale. Mel Gibson nous fait entrer dans son monde à lui, dans un lieu et avec des personnages jamais vus auparavant. Avec Apocalypto, on est vraiment pas loin du chef-d’œuvre absolu.