Avec un titre pareil, on s'attendrait à ce que Apollo 10 1/2 embrasse pleinement sa thématique spatiale et livre un témoignage fidèle de cette conquête et de sa retransmission télévisuelle en forme d'événement. Ce serait cependant oublier le sous-titre français du film : Les Fusées de mon Enfance, qui annonce l'adoption, par Richard Linklater, d'un prisme différent pour (se) raconter son histoire.
Car il ne sera pas seulement question de ce grand voyage, de cette aventure enfantine hautement fantasmée empruntant au cinéma d'Amblin. Car Linklater dérive très rapidement pour ouvrir à son tour sa capsule temporelle, remplie de petites vignettes de sa vie de gamin, de scènes anodines de sa vie familiale, de tous ses petits riens dont on se souvient pourtant avec précision.
Tandis que la rotoscopie choisie pour donner vie à l'animation, la même que dans A Scanner Darkly (Quinze ans déjà), donne à la mémoire de Richard Linklater l'aspect d'une rêverie cotonneuse et bienveillante. Collant avec parfaitement avec l'image de l'Amérique des sixties, tout autant angoissée par le Vietman et l'atome que fascinée par l'innovation constante et la foi en un futur radieux. Coincée dans une way of life tout aussi nocive qu'idyllique.
La description de cette jeunesse aux accents biographiques est aussi l'occasion, pour le réalisateur, de se laisser aller à une véritable récréation, mi-nostalgique, mi-irréelle, à une énumération à la Prévert de désirs, de couleurs chaudes, d'objets pop, d'anecdotes anodines, d'émissions télé, de chansons, saturant une vie à hauteur d'enfant aux contours indistincts. Avec, en arrière-plan, la ville de Houston et la NASA, où tout le monde travaille un peu et participe, anonymement ou par procuration, au tour de force du premier pas de l'homme sur la lune.
Apollo 10 1/2 donne l'impression de capturer et de restituer à l'écran des images et des ressentis, des impressions fortes comme celles que l'on garde en mémoire juste avant de s'endormir après une journée intense et merveilleuse, comme celle qu'a vécu Stan.
Celui-ci vous jurera qu'il a essayé un module spatial et qu'il a assisté à l'exploit en direct, devant la télé soudain fascinée, avec toute sa famille. Linklater réalisateur, lui, traque le moment fugace où les couleurs de sa mémoire sont les plus vives. Peu importe si ses souvenirs sont un peu déformés, parcellaires : ils sont remplis de cette innocence qui ne sait pas encore qu'elle va bientôt se faner.
Celle qui irrigue avec douceur l'heure trente-huit de Apollo 10 1/2.
Behind_the_Mask, fly me to the moon.