Apollo 11
7.7
Apollo 11

Documentaire de Todd Douglas Miller (2019)

C'est peu dire si le cinéma américain s'est déjà emparé de la conquête spatiale comme sujet pour ses contes modernes.
Comment aurait-il pu en être autrement ? Entre la prouesse technique que cela représente et les perspectives oniriques que cela offre aux spectateurs ébahis, la conquête par le cinéma de la Lune relevait de l'évidence...


Seulement voilà, jusqu'à présent le rêve subissait un poids de taille : le récit.
Comment raconter une telle conquête ? Qu'en dire ? Comment la justifier et la magnifier ?
Chaque réponse, jusqu'alors, avait ses limites. Soit le film qui s'y risquait se noyait dans un patriotisme américain plus ou moins exacerbé, soit il s'efforçait de trouver une autre cause pour détourner notre intention du but premier de cette course à l'espace.
Ainsi, dans "Apollo 13", on avait cherché à recentrer le récit sur la seule performance humaine des astronautes survivants, tandis que dans les plus récentes "Figures de l'ombre" on avait davantage porté notre attention sur la question de l'émancipation des femmes.
Au fond, jusqu'à présent, c'était le "First Man" de Damien Chazelle qui était parvenu à trouver l'usage le plus pertinent selon moi du récit face à ce monstre historique : parler de l'homme Neil Armstrong plutôt que du programme en lui-même ; ramener toute cette affaire à l'échelle d'un individu qui est dépassé comme beaucoup de monde par tous ces enjeux. L'occasion pour le coup d'aborder toute la complexité d'un sujet tout en l'observant avec distance.
("First Man" : un film à voir par ailleurs.)


Mais depuis peu, la conquête de la Lune dispose donc d'un nouvel étalon en terme de cinéma. Et cet étalon il se trouve qu'il s'agit justement de cet "Apollo 11".
Un titre à l'image de la démarche au fond : simple et direct.
Dans "Apollo 11" on ne nous parlera que d'Apollo 11, c'est tout.
Ou pour être plus précis, dans "Apollo 11" on ne nous MONTRERA qu'Apollo 11, et c'est bien là que réside toute la force de ce long-métrage.


L'idée est si évidente qu'elle apparaît ici dans toute sa limpidité.
Ne parlons pas. Montrons.
Après tout l'essentiel de la mission Apollo 11 se trouve dans ce qu'on en voit, pas dans ce qu'on en dit.
Et comme l'événement a été filmé à l'époque sous toutes les coutures, on peut aller jusqu'à se dispenser de toute reconstitution.
Il suffit "juste" d'enchaîner les images et les sons.
En d'autres mots, tout l'enjeu de la narration va se résumer à un exercice de cinéma épuré à l'extrême.
Et c'est là que Todd Douglas Miller parvient à nous ouvrir un grand moment de septième art.
Cet art de l'épure, il a su le mobiliser à la perfection dans cet "Apollo 11".


Car à dire vrai, plus qu'à un art de l'épure, "Apollo 11" se livre surtout à une vrai art de l'équilibre.
Car quand bien même l'efficacité de ce documentaire repose essentiellement sur la qualité et la quantité remarquables de ses sources visuelles et sonores, sa force repose par contre sur son admirable sens du cinéma.
C'est qu'il s'agit de signifier sans parler ; de raconter sans discourir.
Or pour parvenir à redonner vie à toute cette aventure ; à capter le spectateur dans cet étrange élan de l'Histoire, il faut avoir le sens de l'envolée.


Et sur ce plan là c'est un sans-faute : habile jeu d'alternance dans les échelles de regard sur l'événement qui permet de lui donner toute sa dimension ; usage subtil de l'accompagnement musical pour accompagner les moments de tension et de contemplation ; complément subtil et astucieux des images manquantes.


(Par exemple j'ai beaucoup apprécié l'illustration épurée du voyage dans l'espace, expliquant par là-même le mode de fonctionnement du module. Ça permet d'apporter les informations qu'on est en droit d'attendre d'un documentaire sans rompre avec notre immersion dans l'aventure.
De même, j'ai particulièrement apprécié quelques notes visuelles bien senties, comme le fait que les alarmes qui sonnent au moment de l'alunissage apparaissent en rouge mais toujours dans la même police sobre que depuis le début. Cela combine à la fois l'idée d'urgence mais aussi de maîtrise. J'ai trouvé ça particulièrement bien vu.)


Sur tous ses aspects, ce film est une réussite. D'ailleurs la qualité de l'ouvrage est telle que je conseille fortement de le découvrir dans les meilleures des conditions possibles.
Pour ma part, j'ai découvert cet "Apollo 11" dans une salle I-Max et je dois bien avouer que l'effet fut saisissant.


Au fond "Apollo 11" - quand bien même est-il un documentaire - est presque l'accomplissement d'une forme de cinéma à grand spectacle.
C'est du pur cinéma sensoriel ; de la débauche visuelle au service de l'envolée onirique.
C'est une claque.
Alors certes, ce film ne renversera pas notre vision du monde, ce qui pourrait en être sa seule limite, mais ce n'était finalement pas là son objectif.
L'objectif était de retranscrire au mieux ce qu'était la conquête de la Lune - c'est-à-dire une grosse production américaine qui a su en mettre plein la vue tout en repoussant les limites de l'entendement - et sur ce plan-là c'est pleinement réussi.
Pour moi, parvenir à la fois à remplir sa fonction documentaire tout en offrant une leçon de cinéma total, c'est tout simplement un remarquable tour de force.
C'est du grand art.
En d'autres mot : du grand cinéma.

lhomme-grenouille
9

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le 23 oct. 2020

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